Les pages sombres de l’école publique sénégalaise, un mauvais signe pour l’avenir

De 2000 à 2017, l’école publique sénégalaise a certainement parcouru les pages les plus sombres

de son histoire. Dix-sept années de politiques inefficaces, d’injection de ressources faramineuses, de grèves intempestives, de baisse continue de qualité… Un cauchemar pour parents et élèves. Un mauvais signe pour l’avenir du pays.
Chaque année, des centaines de milliards sont alloués au ministère de l’Éducation nationale. Pour ces 17 dernières années, le budget du secteur a mobilisé un total de 4609 milliards de francs Cfa. Des ressources, coupées de la bourse du contribuable, censées être parcimonieusement utilisées par l’État pour offrir aux enfants, une instruction de qualité.
4609 milliards jetés par la fenêtre
Sous Wade, l’addition des crédits alloués au ministère de l’Éducation dans les différentes lois de finances initiales (Lfi), de 2000 à 2012, dévoile une manne financière globale de 2730 milliards de francs Cfa. Une fois au pouvoir, le Président Macky Sall, ne fera pas moins. Au contraire, il gonfle davantage les enveloppes budgétaires : 363.6 milliards en 2013, 366.8 milliards en 2014, 370.7 en 2015, 376 en 2016 et 402 en 2017. Au total donc, le secteur aura englouti 1478 milliards de Cfa ces quatre dernières années. Ce qui fait la rondelette somme de 4609 milliards pour ces 17 dernières années. Soit 601 fois le coût de l’échangeur de l’Emergence, (Aliou Sadio Sow) ou 84 fois le prix de l’hôpital Dalal Diam.
Pour quels résultats ? Malgré ces énormes ressources déversées, l’école sénégalaise pèche en matière de qualité. Elle affiche de nombreux symptômes qui mettent à nu des maux profonds. Au grand dam de centaines de milliers d’enfants qui n’ont pas les moyens de migrer vers le privé où la promesse de qualité reste plus crédible.
Les chiffres de la médiocrité
Les résultats de l’enquête « Jangandoo », réalisée par le Laboratoire Lartes de l’Ifan, sont révélateurs. Evaluant la qualité des apprentissages des enfants de 6 à 14 ans, ils révèlent en 2014 un taux de réussite de 18,6% au test global du niveau médian. « Les taux de réussite en lecture, en mathématiques et en culture générale sont respectivement de 27,7%, 22,2% et 86,7% », renseigne le laboratoire. Pendant ce temps, souligne l’étude, les résultats sont nettement meilleurs au niveau de l’école privée pour les mêmes tests. Ils sont de 77,9% en lecture, 67,8% en mathématiques et 97,1% en culture générale.
Pis, entre 2014 et 2017, les choses vont empirer. Les résultats « Jangandoo » de janvier 2017 renseignent que les enfants enquêtés « ont réussi la lecture à hauteur de 16.4%, les mathématiques à 20.3% et la culture générale à 22% ». Soit, parmi les enfants testés, seul 1 sur 6 a réussi en lecture et 1 sur 5 en mathématique et culture générale. Inutile de signaler que dans le privé, les résultats sont encore bien meilleurs.
Mauvaises conditions d’étude
« Les conditions matérielles de l’apprentissage sont mauvaises pour 73,6% des lieux enquêtés et ne sont acceptables ou bonnes que pour, respectivement, 18,5% et 7,9%, révèle l’étude « Jangandoo » 2014. Elles sont assez préoccupantes dans les régions de Kédougou (96%) et Tambacounda (86,2%), et plus satisfaisantes dans la région de Ziguinchor. Très peu de lieux d’apprentissage possèdent des cantines. Les écoles françaises publiques en disposent dans 36,1% des cas. »
Le crash du bac en chiffres
Dans le secondaire, les résultats se distinguent d’année en année par leur faiblesse. Au baccalauréat par exemple, le régime de Wade semble avoir réussi à impacter les résultats dès les premières années de l’alternance. De 35,1% en 2001, le taux de réussite au bac avait cru jusqu’à 48,6% en 2007. Mais, très vite, il va sombrer, chutant à 34,7% en 2009 avant de se stabiliser à 38,2% en 2012, année de la seconde alternance.
Il faut préciser que ces statistiques proviennent de l’Office du Baccalauréat.
Fraudes, Yavuz Selim : l’année des clashs
À partir de 2013, le taux de réussite au bac a connu une baisse vertigineuse et régulière. De 38,5% en 2013, celui-ci s’est écrasé à 31% en 2015 avant de remonter légèrement à 31.6% en 2017, clôturant une année scolaire émaillée de fraudes au baccalauréat. Un scandale qui a ému l’opinion nationale et donné un coup de poignard dans la réputation déjà mal en point de l’enseignement public sénégalais.
Pis, l’État dont le devoir est de de veiller à la bonne éducation de ses enfants, s’est aussi employé à mettre à mort un des fleurons du système éducatif sénégalais qu’est le groupe Yavuz Selim. Ce, sur l’autel des intérêts diplomatiques.
Il faut ajouter que cette baisse du taux de réussite s’est aussi accompagnée d’une chute des nombres de mentions (« Très bien », « Bien » et « Assez-bien ») ces dernières années.
« Où va l’argent de l’école ? »
« Tout cela nous amène à poser une question : ‘’où va l’argent de l’école ? » s’exclame Cheikh Mbow du Cosydep. On fait beaucoup d’investissement mais on fait très peu de résultats. Donc notre système n’est pas efficient. Est-ce que les ressources vont là où on en a le plus besoin ? Par exemple chez les communautés les moins nanties ? Est-ce que c’est entièrement utilisé au bénéfice de l’école. Ce sont des questions qu’on se pose. Malgré cette manne financière, est ce que nous avons des élèves qui sont bien formés, bien outillés, qui travaillent dans de meilleures conditions. Ça ne semble pas le cas puisque les résultats sont très médiocres. »
Du côté du ministère de l’Éducation nationale, on s’emploie à changer les choses nous disent les responsables. Et surtout, pour faire revenir la qualité dans l’école. « Le ministère a déroulé à partir de 2001 le Programme décennal de l’Éducation et de la formation (Pdef). Parmi les résultats obtenus, nous avons vu que la qualité n’a pas été au rendez-vous, rappelle Khady Diop Mbodj, directrice de l’enseignement élémentaire. Il y a eu des évolutions importantes au niveau de l’accès, au niveau de la gestion, mais au niveau de la qualité il y avait encore des efforts à faire. Et c’est dans ce cadre que le ministère a engagé la réflexion qui nous a conduit au programme que nous sommes en train de mettre en œuvre qu’est le Programme d’amélioration de la qualité de l’équité et de la transparence (Paquet). Et dans ce programme qui va courir jusqu’en 2025, le focus est mis sur la qualité. Puis l’équité et la transparence. »
L’antidote du ministère
Pour atteindre ces objectifs, le ministre de l’Éducation, Serigne Mbaye Thiam, et son équipe s’emploient au renforcement des activités d' »enseignement apprentissage ». Celles-ci mettent le focus sur les premiers apprentissages, les premières classes au niveau de l’élémentaire. Ce, pour « régler les premiers fondements surtout en lecture et en mathématiques ».
Le ministère de l’Éducation nationale veut aussi relever le niveau académique de l’enseignant. « C’est dans ce cadre que le programme scolaire a été modifié, précise la directrice de l’Enseignement élémentaire. Et tous les enseignants du Sénégal ont bénéficié d’un renforcement de capacité. Et chaque année nous faisons des tests de niveau en français. »
Khady Diop Mbodji évoque aussi la formation diplômante toujours pour les enseignants, le relèvement du niveau des recrutements où c’est le bac qui est désormais exigé, l’allongement de la durée des formations, la création d’un projet sur les mathématiques, d’un projet d’appui pour l’éducation de base en Casamance, du programme d’amélioration de l’éducation de base.
« Tous les programmes sont évalués de manière périodique. Nous sommes entrés dans l’ère de la gestion axée sur les résultats », rassure-t-elle. Avant de souligner que ces initiatives ont un « impact très positif dans la mesure où toutes les écoles élémentaires du Sénégal sont sous contrat d’amélioration de la qualité, et chaque inspection d’académie signe un contrat de performance ». Et d’ajouter que l’État a aussi injecté plus de 5 millions de manuels scolaires afin que tous les élèves du Sénégal bénéficient chacun d’au moins deux manuels scolaires.
Un horizon sombre
En 1974, à Fatick, l’école primaire publique Moustapha Baïdy Bâ comptait parmi ses pensionnaires un enfant dénommé Macky Sall, né d’une famille modeste. Ses instituteurs ne savaient sûrement pas qu’ils avaient entre leurs mains l’éducation du futur Président du Sénégal.
Issu d’une famille modeste, l’enfant Macky Sall a certainement plus de chance que les centaines de milliers d’élèves sénégalais qui végètent dans un système éducatif en profonde crise. Une école publique qui risque de ne plus voir les futurs décideurs de ce pays sortir de ses classes, si les autorités ne lui administrent pas un traitement de choc. Très vite.

Seneweb.com

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