Les principes de l’urbanisme moderne veulent qu’à l’instar d’un être humain, une ville ait des poumons sains, un cœur vigoureux, des artères fluides pour restituer une bonne énergie
Ça ne va pas ! Attention ce n’est pas moi qui le dis. C’est le président de la République qui nous l’a fait savoir récemment en s’en prenant à ses collaborateurs désinvoltes et il semblerait que peu après, son Premier ministre lui aurait emboité le pas en exigeant des responsables du pôle Diamniado, l’accélération de la cadence. Ah ! Cette cadence, encore elle…
Comme ça, après avoir eu raison d’un premier gouvernement post-électoral, technocrate, judicieusement choisi pour susciter confiance et assurance, emporté par la suite en l’espace de dix mois un deuxième gouvernement, politiquement coloré et censé l’accomplir, voilà qu’elle resurgit pour hanter l’actuel gouvernement. Alors ne faut-il pas s’arrêter et réfléchir sur notre compréhension, notre rapport avec la cadence ? Je crois que si !
Notre incurie ne fait plus l’objet d’un doute et elle sévit jusque dans les milieux des responsables les plus élevés dans la hiérarchie professionnelle, viciant ainsi les résultats de tous nos efforts. Pourtant quand une victime de cette incurie évoque par dépit les performances atteintes ailleurs pour le même service, la réponse cinglante systématiquement servie est : «Ici on est au Sénégal» ; sous entendu : «peu importe, ce gap ne nous gène nullement».
L’on se croirait dans une nation qui revendique fièrement la médiocrité comme son label. Cette attitude de complaisance généralisée vis-à-vis de l’ineffectivité de la bureaucratie censée gouverner le travail et conduire aux performances est notre talon d’Achille. Alors insister sur l’accélération d’une cadence fait appel de ma part à une question cruciale : par rapport à quoi ou à qui accélère-t-on la cadence ?
De quelle compétition s’agit-il ?
J’ose seulement espérer que ce n’est pas en concurrence aux performances douteuses en matière immobilière, du régime Wadiste. Ce serait désolant ! Sous le régime de Wade trois programmes immobiliers ont été initiés dans le périmètre de Dakar, Patte d’Oie, Yoff, Ngor, Ouakam, que j’improuve : la cité Keur Gorgui sur la VDN à hauteur de Mermoz, le lotissement des terrains faisant partie intégrante du domaine jadis réservé à la foire de Dakar, le programme immobilier non encore achevé du promoteur TSE.
Le grief que j’ai à l’encontre de ces programmes est qu’ils ont été motivés par le désir de satisfaire de nouveaux dépendants du pouvoir d’alors, curieusement devenus multimillionnaires, voire milliardaires, disposés à acquérir de biens immobiliers au cœur de la capitale. Et rien que pour ça toutes les lois d’urbanisme et les règles éthiques d’appropriation d’un toit dans notre société ont été foulées au pied. Les plans d’occupation des sols (POS) et leurs corollaires, les plafonds légaux de densité (PLD) ont été simplement ignorés et le résultat ne s’est pas fait attendre. Aujourd’hui tout le monde redoute les heures de pointe sur la VDN et sur la route de Ouakam. Couramment deux heures de temps sont perdues par les automobilistes pour parcourir quelque cinq kilomètres, qui auraient pris dix minutes, peu de mois auparavant.
Mais alors que les conséquences préjudiciables de telles absurdités nous crèvent l’œil et ruinent notre qualité de vie, le nouveau régime n’a pas trouvé mieux à faire que d’autoriser un programme de 17 tours de dix étages aux Mamelles après la dizaine de tours sur le site de l’ex-gare routière des pompiers. Devrons-nous attendre que nos inepties rendent totalement impossible le déplacement en voiture d’un point à un autre pour régler le problème de la mobilité dans Dakar ? Et pourquoi ?
Les principes de l’urbanisme moderne veulent qu’à l’instar d’un être humain, une ville ait des poumons sains, un cœur vigoureux, des artères fluides pour restituer une bonne énergie. Ici on fait exactement le contraire au motif impertinent que la pression de la demande de logements à Dakar est trop forte. Dire ça, c’est laisser de coté des données évidentes prouvant que Dakar est trop encombrée et insalubre, qu’elle est vidée de tous les symboles qui en font une ville moderne, un paradis artificiel, un eldorado. Qu’il y manque des parkings automobile et parcs aménagés, d’espaces verts, de terrains de jeux, de centres culturels, de promenades aménagées et surtout de la part des autorités, d’une attention obsessive à l’ordre et la discipline publics. Toutes ces données prises ensemble ne peuvent conduire logiquement à la déduction que la priorité est de rajouter des dizaines de tours qui, à bien y regarder, font encore le bonheur de nouveaux dépendants du pouvoir. Et rebelote ! À croire que dans ce pays, plus il y a de la pagaille, mieux les gouvernants se portent.
Le pôle de Diamniado
L’initiative des autorités actuelles que je salue est le pôle de Diamniado. Depuis que l’on parle de décentralisation et de désengorgement de Dakar, enfin un acte éloquent. Je suis le projet de loin et j’aimerais ici y apporter ma modeste contribution, féru que je suis de tout ce qui est développement foncier et immobilier. S’il y a une chose que j’ai retenue de ma formation urbanistique, c’est que créer une ville loin de tout, suivant les principes de l’urbanisme moderne, n’est pas une mince affaire. Il faut arriver à faire du projet, bien avant son achèvement, une prédestination attractive, en permettant aux futurs acquéreurs de s’imaginer tout le charme, le dynamisme et la cohésion communautaire qui vont avec l’acquisition du logement qui leur est proposé. Pour ce faire il faut, outre l’existence préalable d’un plan directeur d’aménagement bien conçu, pouvoir livrer en même temps, au moins cinquante cinq pour cent des habitations, commerces et services, pour ainsi créer un effet d’entrainement et éviter la pernicieuse crainte d’isolement.
Aux États-Unis par exemple ce sont les grandes marques qui d’emblée investissent sur le projet, réservent leurs espaces en première ligne et se lancent en premier dans l’édification de leurs magasins. De cette façon les habitations deviennent plus faciles à écouler parce que les gens n’ont aucune crainte quant à leurs habitudes de vie, en choisissant de déménager.
Je crois, dans le cas qui nous intéresse, Diamniadio, qu’il est nécessaire pour les promoteurs d’en faire cette prédestination attractive pour les citoyens sénégalais, en prenant certaines mesures orientées résolument vers le résultat, comme par exemple.
1. Dépolitiser le projet. Présentement les gens passent devant en se disant voila ce que le président est en train de construire. Or ce projet n’est ni pour le président ni pour l’APR. Cela constitue un obstacle à la prise de conscience des clients potentiels, de l’existence possible d’une communauté chaleureuse de propriétaires dynamiques. Nos ministres et responsables doivent arrêter de gratifier le président de toutes les bonnes idées et actions. Même quand une matrone réussit un accouchement de triplés dans un centre de santé d’un village aux frontières du pays c’est grâce au président. C’est contreproductif et contraire à l’éthique de la loyauté. Le vœu présumé des promoteurs en l’occurrence n’est-il pas l’appropriation du projet par les populations destinataires ?
2. Inviter exclusivement pour les lots en première ligne, très visible à distance, les institutions bancaires, les corps de sécurité (pour une brigade de police et gendarmerie), les magasins comme Casino, le ministère de la Santé (pour un hôpital), le ministère de l’Éducation (les écoles), le ministère des Sports (les terrains de jeux), le ministère du Commerce (les marchés), à investir dans la réussite de ce projet très important pour le pays et entamer leurs travaux les premiers. Là est un engagement politique que l’Etat peut solliciter de ces derniers comme soutien à ses projets de développement.
Le projet doit également être vendu dans tous les halls des banques, parce qu’elles sont les premières gagnantes si ça réussi, puisque c’est à travers l’écoulement de leurs produits que le succès passerait.
3. Mettre en service des lignes spéciales de transport en commun convenables et très fiables, qui montrent aux futurs acquéreurs qu’ils pourraient être visités par les siens, sans difficulté, surtout lors de leurs cérémonies familiales.
Il faut en outre savoir que les acquéreurs à revenus modestes de logements très économiques sont les plus prompts à prendre possession de leur bien, n’ayant pas le choix. Il est bon par conséquent de réserver au moins vingt cinq pour cent du projet aux promoteurs locaux rompus depuis des années à la production de logements de ce type avec la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS).
Je terminerai en disant qu’avec le soutien et le concours de tous, ça ira un jour. Il le faut, pourvu que les critiques abondent mais qu’elles soient objectives et constructives. Cependant la cadence incriminée ne serait que la partie visible de l’iceberg. Ce qui ne va pas, a des causes plus profondes dans notre société. Mon humble opinion est qu’il faut insister davantage sur les attitudes et les comportements.
Bonne et heureuse année 2016 chers compatriotes.
iniang@seneplus.com