Retrait des enfants de la rue : Les signes d’un mauvais départ

Impréparation, contestation tous azimuts, soupçon d’une injonction extérieure, le retrait des enfants-talibés de la rue ainsi que des mendiants semble partir sur le mauvais pied. L’absence de concertations avec les concernés et d’une planification rigoureuse montrent des signes qui pourraient bien plomber l’opération.

Le gouvernement du Sénégal a décidé de retirer les enfants de la rue. La mesure en elle-même est salutaire. Mais elle pêche dans sa méthode. Il y a déjà plusieurs signes qui indiquent qu’il y a eu impréparation, de telle sorte que la décision risque de connaître un échec, ou alors son application sera très difficile. En effet, tout semble s’être fait sur un coup tête, pour ne pas dire sur une injonction extérieure. En 2010, l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné, qui voulait interdire la mendicité, avait explicitement reconnu que le Sénégal était menacé de sanction par ses bailleurs.

Pour cette fois-ci, les gens parlent de décision motivée par le souci de bénéficier des fonds du MCA. Une question qui semble agacer le ministre de la Famille Mariama Sarr. Interrogée sur cette assertion, elle reproche au journaliste d’avoir sorti de sa bouche des propos qui ne devraient pas émaner d’un citoyen. ‘’Au moment où le Sénégal s’engageait à ratifier certaines conventions, beaucoup d’entre vous n’étaient pas encore nés’’, a-t-elle ajouté. L’agacement du ministre est édificateur sur la sensibilité de la question. Une chose est sûre, il y a eu précipitation dans cette affaire. L’on retient que le chef de l’Etat a donné instruction mercredi dernier au ministre de tout faire pour mettre fin à cette image dégradante du Sénégal où enfants, adultes et vieillards occupent les rues pour faire la manche. Le jeudi, un comité chargé de la question est mis en place. Et c’est parti pour les opérations.

Afin d’écarter toute idée d’empressement, la ministre Mariama Sarr tente de faire croire que ces opérations datent de 2013 et que la loi elle-même remonte à 2005. Une façon de dire que les mécanismes ont été mis en place, il y a bien longtemps. Pourtant, samedi dernier, au cours de cette même cérémonie de remise d’aides, la ministre a reconnu sans s’en rendre compte sans doute, que le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. ‘’Nous avons pris des dispositions pour qu’au cours du mois de juillet que des réflexions puissent être entamées pour voir ce qu’on peut faire pour les (daara) accompagner. C’est une phase pilote et nous souhaitons la réussir.’’

Agir d’abord, réfléchir ensuite et enfin se concerter !

La demande de couverture de cette cérémonie envoyée par le service de communication du département ministériel est encore plus explicite sur ce point. Le communiqué précise que Mme Mariama Sarr a présidé une réunion d’échanges avec des responsables de la Fédération nationale des associations de maîtres coraniques, notamment le président du bureau de la région de Dakar, le secrétaire général national et le trésorier national. La rencontre a été une séance d’explications et une invite au soutien au plan de retrait. ‘’Il est prévu, à cet effet, une réunion plus élargie entre le ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance et les membres du bureau national de ladite structure, élargie à son comité directeur’’. Autrement dit, les autorités ont d’abord déroulé, avant d’engager les concertations.

Un aveu qui confirme la sortie des maîtres coraniques regrettant leur non-implication dans le processus. De plus en plus, ces enseignants manifestent leur désaccord par rapport à la mesure. On a entendu la fédération des maîtres coraniques de Thiès dire que l’objectif, à terme, est de fermer les daara. Ses membres demandent même à l’Etat de prendre en charge les talibés, comme il le fait avec les élèves de l’école française, s’il veut que les premiers arrêtent de mendier. Une exigence qui rappelle les engagements de l’Etat à construire 64 daara modernes pour accompagner le processus et qui peinent à être concrétiser. Cette comparaison rappelle également les méthodes utilisées dans la réforme de l’école française. De larges concertations ont été initiées, que ce soit la concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur ou les Assises de l’Education et de la formation. Des conclaves toujours précédés par des consultations citoyennes.

Le gouvernement va-t-il nourrir les mendiants, ad vitam aeternam ?

Face à la décision ‘’brutale’’ et non concertée, les oustaz de Dakar sont aussi sur la même logique de refus. Et pour montrer leur force de frappe, les fédérations rivalisent sur les chiffres. L’une avance les chiffres de 7 000 daara, avec 18 000 enseignants et 2 millions de talibés. L’autre 16 800 daara. Pendant ce temps, c’est le silence total du côté des foyers religieux. Ils n’ont pas donné une position officielle. Or, on sait leur poids dans cette affaire. Ont-ils été impliqués ? Le gouvernement s’est-il assuré de leur soutien, avant d’entamer les opérations ? Ce silence est-il synonyme de consentement ? Rien n’est clair pour le moment.

Autre point qui indique l’impréparation : la conduite à tenir face aux mendiants ou leurs parrains. Dans les deux premiers jours de l’opération, il n’était pas question d’appuis financiers. Au contraire, c’était une promesse de sanctions. Les familles et tuteurs étaient sommés de garder les enfants sous peine de s’exposer à la rigueur de la loi. Mais depuis 48 heures, il est question de soutiens financiers. La ministre Mariama Sarr a d’ailleurs remis 50 000 F à 22 femmes et 75 000 F à 15 maîtres coraniques. Ce qui pourrait bien être une prime à la mendicité.

En guise de justification, l’autorité déclare que ce sont des vivres pour couvrir le mois de juillet. Le gouvernement est-il prêt à nourrir gratuitement tous les mendiants du pays ? ‘’L’Etat du Sénégal est en train de réfléchir sur les mécanismes à mettre en œuvre pour un soutien permanent et un accompagnement permanent’’, répond le ministre. En attendant ce soutien pérenne dont les contours ne sont même pas encore définis, que fera-t-il avec les familles des mendiants ? Recevront-ils les mêmes sommes pour le mois d’août ? de septembre ? d’octobre ?… Autant de points qui indiquent que cette mesure, dans sa conception et mise en œuvre, n’est pas loin de celles qui l’ont précédée.

BABACAR WILLANE / enqueteplus.com

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