Regards croisés des analystes politiques sur la proposition de la CENA, pour les législatives 2017

Les nombreuses contestations de l’opposition dite «radicale» suite à la proposition validée

de la Commission électorale nationale autonome (Cena), notamment de modifier l’article L.78 du Code électorale, plongent le pays dans une situation politique délétère à la veille des élections législatives. C’est le sentiment partagé de certains analystes politiques interpellés par Sud Quotidien ce lundi 3 juillet, pour un regard croisé sur la situation politique actuelle du pays. A l’instar du journaliste analyste politique, Momar Seyni Ndiaye, qui reste persuadé que cette situation colporte des risques d’incidents postélectoraux, tout comme le professeur analyste politique, Momar Diongue, qui estime pour sa part qu’on tend vers «une pagaille électorale».

Une bonne partie de l’opposition dite «radicale» se démarque du consensus dégagé lors de la rencontre initiée par la Commission électorale nationale autonome (Cena), avec les représentants des listes en compétition pour les législatives. Comment appréciez-vous cette situation?

Momar Seyni Ndiaye : Il faut dire que cette modification et tout le bruit qu’il y a autour démontre au moins une chose. C’est l’absence de capacités à planifier les étapes du processus électoral. C’est extrêmement dommage parce qu’un pays comme le Sénégal qui a tant d’expérience en organisation des élections, dans le management d’une démocratie de manière générale, n’aurait pas dû se retrouver dans cette situation qui est digne de petits pays, ou de pays à petite démocratie. Le Sénégal est un pays à grande démocratie. C’est la première chose à noter. La seconde chose en réalité, c’est que le contexte dans lequel on a proposé cette modification est très chargé. Parce que c’est un contexte marqué par une très forte conflictualité entre les acteurs politiques, notamment entre ceux de l’opposition et du pouvoir, et à l’intérieur même du pouvoir comme dans l’opposition. Dans des conditions pareilles, trouver un consensus relève du miracle, parce que personne ne peut imaginer qu’un consensus puisse se dégager facilement. Cela veut dire simplement que la proposition de la Cena arrive trop tard et ne permet pas dans des conditions idéales d’avoir non pas une majorité, parce que c’est plus facile d’avoir la majorité, mais un véritable consensus. Autrement dit, une convergence de sincérité parce que c’est ça le consensus. S’il n’y a pas de convergence de sincérité, il n’y aura pas de consensus. C’est la raison pour laquelle c’est regrettable.

Momar Diongue : Je voudrais partir d’abord d’un constat : les élections législatives ne mobilisent pas généralement les Sénégalais. Ces dernières années, le taux de participation à une élection législative n’a jamais atteint 40%. Ça veut dire que tout ce qui peut militer pour augmenter le taux de participation devrait être la bienvenue pour la classe politique sinon on risque d’aller vers l’élection la moins populaire qu’on ait eue dans ce pays. Pour diverses raisons liées au fait que les législatives ne mobilisent pas les Sénégalais généralement, aux difficultés pour obtenir la carte électorale, à la pléthore de listes (47 précisément), à l’hivernage qui fait qu’il sera très difficile de mobiliser l’électorat du monde rural en pleins travaux champêtres, aussi à l’impraticabilité des voies.
Pour faciliter le vote, la formule qui me parait la meilleure, c’est celle qui est proposée par la Cena et qui consiste à prendre 5 bulletins au minimum et 10 au maximum. Prenez le cas de la France dont on s’inspire beaucoup pour ce qui est des élections et du processus électoral. Là-bas, quel que soit le nombre de bulletins en lice, l’électeur n’est tenu de prendre au minimum que deux bulletins. Parce que le fait de prendre deux bulletins permet de sauvegarder quelque chose qui est fondamentale, c’est-à-dire le secret du vote. La formule qui est proposée par la Cena est très sincèrement la meilleure formule. Il faudrait que les acteurs politiques en prennent conscience et aillent dans cette direction si on veut la tenue des élections et avec un taux de participation appréciable.

Comment comprendre la radicalisation de l’opposition qui se démarque dudit consensus ?

MSN : Il faut dire qu’une partie de l’opposition fait preuve d’une radicalité incompréhensible. Quand bien même le pouvoir n’aurait pas créé toutes les conditions pour amorcer un véritable dialogue, la radicalité de l’opposition ne se justifie pas. Choisir au moins 5 bulletins pour voter, c’est beaucoup plus facile que d’en choisir 47. D’un coté comme de l’autre, il y a une radicalisation et de l’autoritarisme qui ne se justifient pas. Malheureusement, nous sommes dans une situation délétère et on risque d’avoir des difficultés. Il faut ensuite constater que c’est une tempête dans un verre d’eau. Parce que tout simplement, lors des dernières élections législatives, nous étions à un taux de participation de moins de 40%, avec 2 ou 3 fois moins de listes. Donc, c’est un faux problème en réalité qu’on a posé. Aujourd’hui, le véritable enjeu, c’est comment mobiliser les acteurs pour qu’ils aillent aux élections. Quels sont les moyens de communication, les moyens matériels logistiques, les argumentaires, les propos de campagne qu’on doit tenir pour intéresser les gens à la politique ? Parce que si on avait réuni ces moyens, ces thématiques de campagne crédibles, il n’y aurait pas eu cette désaffection comme on l’a senti lors du référendum et des élections locales. Le problème est mal posé, à mon avis.

MD : L’opposition dite radicale est en train tout simplement de faire payer au président Macky Sall sa gestion presque unilatérale du processus électoral. C’est aussi simple que cela. Il y a eu le choix du nombre de députés de la diaspora qui a été adopté à l’Assemblée autour de 15 députés alors qu’à l’origine, on s’était entendu autour de 10. On avait fini de faire les discussions et le président a utilisé sa majorité pour faire porter ce nombre-là à 15. La deuxième chose, c’est que beaucoup de membres de l’opposition disent que si on en est arrivé à cette situation d’inflation de listes, c’est parce que Macky Sall aurait suscité un certain nombre d’autres listes pour diviser les voix de l’opposition. On est dans un jeu où les principales forces de l’opposition estiment que Macky Sall est à l’origine de l’inflation des listes et elles ne feront rien pour sortir de cette situation compliquée. Voila en fait ce qui se joue. Il n’y a rien d’autre… Maintenant, au delà de cette analyse contextuelle, il faudrait que vraiment au sortir de ces élections… que toute la classe politique puisse se retrouver pour dialoguer, discuter entre acteurs. C’est comme ça qu’on doit faire dans un système démocratique. Vous voyez aujourd’hui le Président en être réduit à demander à la Cena d’intervenir pour réconcilier les parties…Et bien, si on en est arrivé à cette situation, c’est parce qu’il n’y a jamais eu de dialogue sincère, franc entre acteurs politiques dans ce pays depuis que Macky Sall a pris le pouvoir.

Au regard de ces nombreuses contestations, n’avez-vous pas le sentiment que le scrutin risque d’être dévoyé ?

MSN : C’est vrai. Ces nombreuses contestations vont alimenter le climat déjà délétère. Aujourd’hui, la décision des partis de l’opposition, à mon avis, qui veulent assiéger l’Assemblée nationale le jour du vote, ne me parait pas une bonne décision. Parce qu’il n’y a pas vraiment matière à mobiliser autant de gens, autant de conflit pour une chose qui aurait pu être réglée dans un dialogue. La conflictualité est déjà réglée. Les bases d’un conflit postélectoral sont d’ors et déjà posées. Il y a de fortes chances qu’au lendemain du 30 juillet, le Sénégal prenne le risque, encore une fois, de plonger dans la conflictualité, dans des incidents postélectoraux. C’est dommage, parce que nous avons tous les moyens pour éviter une telle perspective.

MD : Il est clair qu’on va vers un scrutin qui ne ressemblera à rien du tout. On risque d’aller à une pagaille électorale. Imaginez-vous que 47 représentants de listes plus les membres du bureau de vote, représentants de Cena, l’assesseur vont se retrouver dans une salle de classe. Plus d’une cinquantaine de personnes dans une classe où vont passer les électeurs pour voter. On risque d’aller vers une bataille électorale… Je ne suis pas contre l’idée d’un report ou un décalage des élections pour permettre que ça puisse se faire dans les meilleures conditions. Qu’est-ce qu’il y a de mal à proroger le mandat des députés de deux mois encore pour aller dans ces élections-là dans les meilleures conditions possibles…Entre acteurs politiques, on peut s’entendre. C’est pour cette raison que je dis que tout cela est lié à l’absence de dialogue parce qu’en cas de dialogue permanent, les deux parties se seraient rendues compte qu’il serait difficile d’aller vers des élections dans ces conditions.
sudonline.sn

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