Moussa Diaw, enseignant chercheur en sciences politiques à l’UGB: « ..Tenir compte de la mise en garde de Al Amine… »

Selon Moussa Diaw, Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, le sermon prononcé samedi dernier par le nouveau Khalife des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, est une mise en garde aux acteurs politiques et sociaux. Pour ne pas arriver à une situation ingérable qui pourrait poser des problèmes sur l’équilibre de la sécurité du pays.

Quelle appréciation faites-vous du sermon du nouveau Khalife général des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine ?

C’est un message destiné aux hommes politiques sénégalais au regard de la tension qui règne dans l’espace politique, notamment les attaques verbales, les procès à l’endroit des opposants et la situation globale de pesanteur qui règne dans l’espace politique et social du pays. C’est en fait un message de sage qui contient une mise en garde. Mais également des orientations sur l’avenir du pays et sur le comportement des hommes politiques. Je pense qu’ils peuvent tirer beaucoup de leçons s’ils arrivent, par une lecture approfondie, à décrypter le sens de ce message pour l’avenir du pays. A mon sens, c’est un éclairage sur les orientations et le comportement des uns et des autres, c’est-à-dire de la majorité et de l’opposition et de façon générale des Sénégalais dans leur vivre ensemble pour le développement du pays.

Est-ce que les craintes d’Abdoul Aziz Al Amine sont fondées, quand il demande aux hommes politiques d’arrêter les injures et les errements pour épargner le pays d’une guerre civile ?

Je ne peux pas vous dire que ses craintes ne sont pas fondées. Parce que vous savez, une guerre civile arrive très vite. On a eu des exemples dans beaucoup de pays voisins de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique centrale, de l’Afrique de l’Est etc. Ça peut arriver très vite ; c’est la conjonction de plusieurs facteurs. On sait d’abord qu’il y a la violence. La guerre civile oppose en fait des citoyens entre eux. Elle naît d’une situation d’abord de violence structurelle et ensuite d’insécurité.

Là, nous avons des exemples de violence structurelle depuis un bon moment où il y a un manque d’ordre moral et politique. Il y a un manque de morale tout court. Cette violence est liée à la situation de pauvreté et à un manque de perspectives pour les jeunes. Ajoutez à cela la violence politique née de marginalisation, d’humiliation et de frustration d’hommes politiques. C’est un ensemble de facteurs qui représentent une source de violence et qui peut aboutir à une guerre civile. Nous n’en sommes pas encore là. Mais c’est un avertissement.

C’est qu’on a des prémices dès lors que la violence structurelle prend de l’ampleur tous les jours. Dans les banlieues et dans certaines cités, l’insécurité règne ainsi que l’absence de morale. La pauvreté aussi fait du mal à beaucoup de populations. Cette concentration de violences, avec maintenant la situation politique faite d’humiliations, de marginalisations et de frustrations, peut provoquer une construction identitaire, c’est-à-dire, l’instrumentalisation de l’ethnie qui pourrait engendrer une violence. C’est cette situation que l’on veut éviter au Sénégal. On sait que les hommes politiques, ça arrive des fois, ne mesurent pas les conséquences de leurs dérives. C’est en fait une mise en garde des acteurs politiques et sociaux de ne pas arriver à une situation ingérable qui pourrait poser des problèmes sur l’équilibre de la sécurité du pays. Donc on doit tenir compte de cette mise en garde, l’analyser, la décrypter pour en ressortir des axes de réflexion qui pourraient apaiser le climat social et politique, surtout à l’approche des élections.

Y a-t-il à craindre pour la sécurité du pays ?

Non ! Je ne crois pas qu’on ait atteint ce niveau. Mais vous savez, les choses peuvent surprendre. Il faut simplement éviter l’humiliation et les frustrations qui peuvent provoquer des situations ingérables. C’est d’autant plus vrai qu’on a des exemples dans certains pays où on ne s’attendait même pas à des situations comme cela et finalement, ça apparaît subrepticement dans un espace politique et engendre des situations très difficiles à résoudre. Mais le Sénégal n’a pas encore atteint ce niveau. Justement, nous avons des espaces de médiation.

Ce message oriente les gens vers ces espaces, c’est-à-dire qu’on respecte les règles de la démocratie, les principes démocratiques, le respect de l’autre même si on n’a pas les mêmes façons de concevoir les choses, les mêmes projets. Il faut respecter la contradiction. Il faut respecter l’autre dans sa position de divergence et de confrontation sur le plan des idées. Il faut aussi respecter le droit à la réponse et à la critique dans le respect de l’autre. La contradiction est inhérente à la société pour lui permettre d’évoluer. Tout cela doit être encadré et mesuré et aller justement dans le sens de la satisfaction des intérêts des populations. L’objectif, c’est arriver à améliorer les conditions de vie des populations. Il faudrait qu’on recadre tout cela, que les hommes politiques acceptent les règles du jeu, s’insèrent dans une dynamique constructive et non pas concevoir un adversaire politique comme un ennemi.

Est-ce que cette escalade verbale n’est pas dû au fait qu’on approche des élections ?

Effectivement. C’est lié aux élections. On a vu quelques attaques personnelles, personnalisées et quelques humiliations. Le fait de saisir le maire d’une grande ville comme Dakar, qui a une notoriété internationale, qui représente aussi quelque chose au niveau de l’espace politique sénégalais, le saisir et l’emprisonner comme cela pose problème. Ça peut craindre des situations où le politique prend le dessus sur le réel. Je crois qu’on doit prendre quelque distance de réflexion. S’il y a des fautes, il faut sanctionner. Bien entendu, il faut une reddition des comptes parce que ceux qui gèrent les ressources publiques doivent rendre compte dans la transparence. Mais il ne faut pas qu’on protège certains et qu’on laisse les autres ramasser les pots cassés. Il faudrait que tout le monde soit traité au même pied, qu’il y ait une équité dans le traitement politique et judiciaire.

Je pense que c’est important si on procède de cette manière, que ce soit ancré dans l’esprit des citoyens ou des hommes politiques. Quand on fait une lecture, on ne s’éloigne pas du rapport de l’argent par rapport au politique, c’est-à-dire, la place de l’argent dans la politique. Ça mérite d’être approfondi au niveau de la réflexion parce que la position de pouvoir correspond, (c’est la conception africaine qu’on a du pouvoir), à une position d’accumulation de ressources et de gestion d’une clientèle. Il faudrait qu’on change les rapports de forces, nos pratiques politiques et dire que faire de la politique n’est pas seulement d’entretenir une clientèle. Ceux qui pratiquent la politique doivent avoir un métier. La politique n’est pas un métier. Il faut avoir des ressources ailleurs et s’engager politiquement parce qu’on a un engagement idéologique par rapport à des enjeux et à des projets pour satisfaire les besoins des populations. C’est ça l’engagement politique. Ce n’est pas seulement pour accumuler des ressources, pour s’enrichir rapidement, entretenir une clientèle ou faire barrage à l’autre, compromettre l’adversaire, le mettre dans une situation humaine inacceptable. Ça pose problème pour le sens du politique, pour la pratique politique et pour le développement de la démocratie dans notre pays.

Pensez-vous que l’attitude du régime en place facilite la situation ?

Le message est adressé à tout le monde. Ce n’est pas seulement pour l’opposition ou pour la majorité. C’est pour tout le monde. D’ailleurs et naturellement, la majorité a un rôle éminent à jouer dans le changement des pratiques politiques et adopter des comportements démocratiques, c’est-à-dire qu’on accepte la contradiction et que les autres puissent s’exprimer librement, qu’ils puissent y avoir d’autres projets de société. Il faut cela dans une démocratie pour faciliter les règles du jeu, l’encadrer et montrer l’exemple. Parce que c’est à eux de montrer l’exemple aussi bien pour l’apaisement que la gestion ou la présentation des projets de société. La réflexion doit être menée à leur niveau.

En s’adressant ainsi à la classe politique, le nouveau khalife des Tidianes est-il dans son rôle ?

Oui, il est dans son rôle. Et je pense qu’à ce niveau, il faut réfléchir sur la nature du régime politique. Parce que si on revient à la laïcité, il y a un problème. Le débat doit être posé. On a essayé de le poser au moment des réformes institutionnelles et on a fait marche arrière parce que les gens ont contesté et orienté cela vers d’autres sens et ça ne correspond pas du tout. La laïcité à la sénégalaise n’est pas la laïcité à la française. Celle-ci correspond à l’histoire de la France, à leur trajectoire historique, la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Ça, c’est une autre histoire. Nous devons adapter nos pratiques politiques à nos réalités, construire un cadre institutionnel et politique qui tienne compte de nos réalités politiques et culturelles.

Cela veut dire tout simplement que l’espace religieux a une place importante dans le cadre politique. Le pouvoir religieux et le pouvoir politique sont liés. Il y a une complémentarité entre les deux. On voit tous les jours que quand il y a des difficultés en termes de médiation sociale, on l’a vu avec les enseignants, ce sont les chefs religieux qui ont apporté leurs contributions pour apaiser le climat et trouver une solution consensuelle.

Ces chefs religieux jouent un rôle de médiation sociale et politique. Ils sont incontournables dans la gestion de la société en termes de solidarité et de développement économique et social. Cela veut dire tout simplement que nous devons réfléchir à la laïcité à la sénégalaise et l’imprimer dans le cadre institutionnel. Il est dommage qu’on n’ait pas mis dans notre constitution quelques dispositions relatives à cette réalité sociopolitique qui est les confréries ; les mettre au cœur même de notre dispositif parce qu’elles représentent quelque chose même si on ne doit pas oublier les références et principes universels de liberté, de droit et d’égalité. C’est une spécificité sénégalaise et ça devait être imprimé dans la constitution sénégalaise. Parce que ces confréries religieuses jouent un rôle important dans l’équilibre social, politique et économique du pays.

PAR ASSANE MBAYE / enqueteplus.com

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