Outils majeurs du soft power, les médias français perdent de l’influence en Afrique francophone

En 2017, la France trônait encore en tête du classement du Soft Power Index qui évalue la capacité d’influence

des pays dans le monde. En 2022, selon le même classement publié ce 15 mars, la France est 6e. Depuis des décennies, le soft power français a contribué au statut de grande puissance de la France. L’un de ses principaux outils a toujours été les médias.

Au Mali, France 24 et RFI viennent d’être privés de manière définitive de leur droit d’opérer dans le pays. La décision des autorités maliennes a provoqué une vive réaction de France Médias Monde, la maison-mère de RFI et France 24. Le groupe dénonce « un vice de procédure » lié à la coupure brutale de ses signaux, le 17 mars, avant toute mise en demeure. Plus qu’une simple suspension de média, cet épisode n’est que le prolongement d’une bataille médiatique qui dure depuis plusieurs semaines entre la France et le Mali. Le coup porté par les dirigeants maliens fait particulièrement réagir parce qu’il atteint l’un des principaux outils du soft power français : les médias. Dans ce pays qui symbolise depuis plusieurs années la progression d’un sentiment anti français, le régime au pouvoir a même interdit aux médias locaux de reprendre les articles de RFI et France 24. Au-delà du Mali, c’est un coup porté à toute la diplomatie française en Afrique qui utilise énormément ses médias, et ce depuis très longtemps.

Les médias, un outil de soft power français depuis l’époque des indépendances

Selon Joseph Nye, ancien Sous-secrétaire à la Défense pour les affaires de sécurité internationale des États-Unis et créateur de la notion de soft power, les médias ont toujours eu une place importante dans la capacité des grandes nations à séduire à l’étranger, pour le meilleur et pour le pire. « Les médias ont toujours été importants. Songez à Gutenberg et à Luther à l’époque de la Réforme, ou encore à la manipulation de la radio et du cinéma par l’Allemagne dans les années 1930 ». Pour l’écrivain britannique David Lodge, « les médias représentent la plus grande puissance de notre société contemporaine ». L’Afrique a toujours compté une grande part des locuteurs francophones. En 2019, selon le ministère français des affaires étrangères, 59% des locuteurs quotidiens de la langue française sont africains. Il était donc tout naturel pour la France de favoriser l’implantation de ses médias dans les nations africaines. L’un des précurseurs de cette présence a été Jeune Afrique, édité à Paris depuis 1960. Il a été rejoint par la radio Africa n°1, fondée en 1981, en partie grâce à des capitaux publics français, puis TV5 Afrique, en 1991, suivis de Radio France International (RFI) et France 24. De son côté, l’Agence France Presse (AFP) assure avoir proposé dès 1944 un service d’informations spécifique pour l’Afrique francophone avant d’y installer des bureaux dans toutes les capitales nouvellement indépendantes, francophones et anglophones dès 1960.

La montée en puissance des médias français en Afrique

A partir de 2013, la présence médiatique française a commencé à augmenter sur le continent. Sur le plan politique, cette période correspond à une vague de protestations contre la « Françafrique », consécutive à des évènements tels que la déposition de Mouammar Kadhafi ou l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Le Point s’installe sur le continent en mars 2014. Le 19 janvier 2015, c’est au tour du journal Le Monde, en partenariat avec l’Agence Française de Développement. Dans le même temps, Canal+, présent sur le continent depuis 1991 voit son nombre d’abonnés augmenter et expose encore plus d’Africains aux contenus médiatiques français.

Lorsqu’ils sont interrogés sur le but de leurs présences sur le continent, ces médias expliquent généralement combien l’audience européenne demande des informations sur l’Afrique. Mais, dans le même temps, et les pénétrations d’internet et des smartphones aidant, les médias français, dotés de moyens très supérieurs à ceux des médias africains, deviennent également des sources privilégiées d’information dans les pays francophones du continent. Cela, à tel point que les chaînes de télévision françaises dominent les classements d’audiences (eux-mêmes généralement français) dans la plupart des pays francophones du continent.

En 2017 par exemple, plusieurs rapports s’accordent pour dire qu’aucune chaîne africaine ne figure dans le top 10 de l’audience africaine de l’année. TV5 Monde, France 24 et TF1 sont respectivement 2e, 5e et 10e du classement. Sur le continent, la classe dirigeante accorde plus de crédit aux médias français qu’aux médias locaux des pays africains. Même les chefs d’Etats des pays d’Afrique francophone privilégient la plupart du temps la communication sur les médias français. Cela ulcère les éditeurs de presse locaux mais les chiffres publiés plaident en faveur de ces groupes. Finalement, de nombreux médias africains se résolvent à reprendre les informations de structures comme l’AFP ou le contenu publié par France 24, RFI ou Jeune Afrique. Sur le continent, les médias français augmentent leurs effectifs justifiés par une demande croissante d’informations francophones sur l’Afrique.

Les médias en Afrique, un investissement important pour l’Etat français

En 2018, l’Agence Ecofin avait contacté France Médias Monde pour connaître ses effectifs en Afrique. Pour RFI, le groupe nous a précisé qu’il comptait 227 correspondants pigistes RFI sur le continent africain, plus 4 envoyés spéciaux permanents et 2 coordinateurs des langues africaines (haoussa, swahili et bientôt mandingue). Le média disposait à Paris d’un peu plus de 352 journalistes dont 37 étaient exclusivement dédiés au service Afrique.

Du côté de France 24, France Médias Monde nous a indiqué qu’il « collabore avec 11 sociétés de production qui rassemblent près de 40 journalistes en Afrique dans 21 pays ». A Paris, France 24 comptait à cette époque 544 journalistes engagés à temps plein, accompagnés par 172 pigistes.

Concernant les budgets engagés sur une base annuelle pour l’activité de chaque média, RFI et France 24 nous ont répondu la même chose. « France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya) ne dispose pas de budget par chaîne depuis la fusion des trois médias au sein d’un même groupe et la mutualisation de plusieurs fonctions supports. En 2018, la contribution à l’audiovisuel public allouée à France Médias Monde était de 257,8 millions d’euros ». L’importance de l’investissent public dans l’activité de France Médias Monde et le volume de personnel engagé témoigne de l’importance, pour la France, de sa présence médiatique sur le continent.

Une influence des médias étrangers longtemps critiquée. En Afrique, la domination des médias étrangers a souvent suscité de vives critiques. De nombreux intellectuels africains pensent par exemple que cette situation place dans des mains étrangères au continent le contrôle de son storytelling. Cela affecte de manière importante l’audience des médias africains, leur capacité à attirer des recettes publicitaires et la capacité des entreprises de presse africaines à être pérennes. Le contrôle de l’information sur l’Afrique par des médias étrangers a même des conséquences sur l’économie du continent selon une étude d’Africa No Filter.

La réduction de l’influence médiatique de la France en Afrique

Ces dernières années, la montée du sentiment anti-français a augmenté en intensité dans plusieurs pays du continent. Cette situation a entrainé une certaine défiance envers les médias français qui deviennent beaucoup moins influents. Il y a quelques années, peu de personnes auraient pu imaginer le pouvoir malien suspendre RFI et France 24. Le problème ne se limite pas au Mali. Ces derniers mois, les autorités de pays comme l’Egypte, l’Algérie ou le Maroc se sont plaints de la couverture par les médias français de leur actualité nationale. Dans certains pays comme le Mali, la Guinée-Bissau et la Centrafrique, la situation a profité à d’autres puissances comme la Russie, plus populaire dans ces pays. La montée du sentiment anti français a également profité à des pays comme la Chine et la Turquie qui renforcent leurs présences sur le continent. En janvier 2020, l’Agence de Presse du service public turc, Anadolu, a notamment évoqué les déboires du soft power français dans un article qui accuse l’hexagone de recourir à « des stratégies néocoloniales » pour garder son influence en Afrique.

La concurrence avec le soft power français se matérialise aujourd’hui dans le paysage médiatique où, dans plusieurs pays africains, les populations se tournent progressivement vers les médias russes ou chinois, entre autres. Selon l’Agence de Presse Anadolu, dans le but de résister à cette concurrence, la France est prête « à tous les moyens, dont les moins éthiques ». L’un des exemples pouvant illustrer une telle thèse remonte à décembre 2020. Facebook annonce durant ce mois le démantèlement d’un réseau d’influence. « Ce réseau d’origine française, était composé de 84 comptes, de 6 pages et 9 groupes sur Facebook, mais également de 14 comptes Instagram. Leur activité, qui a débuté en France, visait principalement la République centrafricaine et le Mali, mais aussi dans une moindre mesure le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie, la Côte d’Ivoire et le Tchad. Les sujets traités concernaient souvent l’actualité sur la politique française en Afrique francophone, la situation sécuritaire dans divers pays africains, mais également des soupçons d’interférence de la Russie dans les élections en République centrafricaine (RCA). Bien que les personnes derrière cette activité aient tenté de dissimuler leur identité et leur coordination, notre enquête a trouvé des liens avec des individus associés à l’armée française », a révélé Facebook.

Selon le rapport Afrobarometer, 89% des Africains estiment que les réseaux sociaux constituent un moyen d’accès à l’information. Un nouveau canal que le soft power français a ainsi tenté d’investir, sans grand succès, semble-t-il.

Servan Ahougnon
agenceecofin.com
ActuPrime – La primeur et la valeur de l’information – Sénégal

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