Covid-19 : diplomatie sanitaire et « lutte d’influence » de la Chine derrière le don et la vente de vaccin à l’Afrique

Sénégal, Égypte, Maroc… De plus en plus de pays africains reçoivent des vaccins anti-Covid du laboratoire chinois

Sinopharm. Alors que l’Europe et les États-Unis sont focalisés sur la gestion du Covid-19 sur leur propre territoire, Pékin se tourne vers le continent africain, l’un des ses partenaires clés, pour écouler ses vaccins, accroître son influence et promouvoir son image à travers le monde.

Confrontés à une recrudescence de l’épidémie de Covid-19, l’Europe et les États-Unis cherchent à réserver toujours plus de stocks de vaccins, au détriment des autres régions du monde. Kristalina Georgieva, la dirigeante du Fonds monétaire international, a ainsi déploré mercredi 24 janvier « un accès inégal aux vaccins » entre les pays les plus avancés et ceux à faibles revenus. Profitant de l’absence des Européens et des Américains sur ce terrain en Afrique, la Chine se pose en alternative, en vendant et en offrant ses propres vaccins à plusieurs pays africains.

La Chine a offert 200 000 doses du vaccin produit par la société Sinopharm à la Sierra Leone, pays pauvre d’Afrique de l’Ouest, qui doit les recevoir jeudi. Pékin s’est aussi engagé à donner d’ici quelques jours 100 000 doses de vaccin à la Tunisie.

Le dernier pays en date à avoir reçu des vaccins chinois est le Sénégal. Quelque 200 000 doses du vaccin de la société chinoise Sinopharm ont permis de lancer, mardi, la campagne de vaccination dans le pays. Dakar, qui a mis à disposition 10 % de cette cargaison à ses voisins la Guinée-Bissau et la Gambie, s’attend à recevoir 6,5 millions de doses supplémentaires dans les semaines à venir.

Revendiquant une efficacité de 79 %, le vaccin de Sinopharm a déjà servi dans d’autres pays du continent comme les Seychelles, le Zimbabwe, l’Égypte, le Maroc ou la Guinée équatoriale. Ces doses ont été transportées via un pont aérien spécialement mis en place par Pékin, qui ne cache pas ses ambitions auprès des pays en développement ou à revenu intermédiaire en Afrique, mais aussi en Amérique latine et en Asie du sud-est. Lundi, le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a affirmé que la Chine fournissait gratuitement des vaccins à 53 pays dans le monde et qu’elle en livrait à 22 pays qui avaient passé commande pour en acheter.

En livrant ses vaccins, la Chine a saisi « une opportunité politique considérable » pour être sur le devant de la scène, affirme Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) spécialiste de la Chine, contacté par France 24. « Les Chinois s’inscrivent dans une lutte d’influence. Ils veulent dire au monde qu’après avoir vaincu l’épidémie, ils sont désormais capables de venir en soutien aux pays africains contrairement aux pays les plus développés, qui, aujourd’hui, ne sont pas au rendez-vous », explique-t-il.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a reproché lundi à certains pays riches d' »approcher les fabricants pour s’assurer l’accès à des doses de vaccins supplémentaires » et de « saper » le dispositif Covax, visant à fournir aux pays à faibles revenus leurs premières doses de vaccins anti-Covid.

Lancé au printemps 2020, Covax doit fournir, d’ici la fin 2021, jusqu’à 600 millions de doses à l’Afrique, soit suffisamment pour vacciner au moins 20 % de sa population. Mais alors que le continent connaît une deuxième vague épidémique, les doses se font attendre. Cette situation pousse certains pays africains à signer des contrats avec la Chine, qui se targue de pouvoir leur transmettre des vaccins plus rapidement.

Face aux demandes d’aide des pays africains, Emmanuel Macron a proposé, le 19 février, que l’Europe et les États-Unis livrent « le plus vite possible » 13 millions de vaccins contre le Covid-19 à l’Afrique pour que le continent puisse vacciner ses 6,5 millions de soignants.

En attendant, la Chine a déjà tiré son épingle du jeu, estime Antoine Bondaz. « Même si le dispositif Covax apportera plus d’aide dans le futur par rapport à celle apportée aujourd’hui par la Chine en Afrique, beaucoup de pays vont seulement retenir que les premières cargaisons de vaccins sur le continent étaient chinoises », détaille-t-il. Selon lui, « la Chine a marqué des points en termes de communication » avec ces livraisons.

Les prix de ces transactions n’ont pas été divulgués par Pékin. Les autorités du Zimbabwe ont, cependant, affirmé qu’elles bénéficiaient de tarifs préférentiels pour l’achat d’1,2 million de doses supplémentaires. Une stratégie qui permet à la Chine de valoriser son image. « Pour le moment, les vaccins produits par les pays occidentaux sont trop chers pour qu’ils soient utiles aux pays africains donc les quantités livrées sont limitées », explique Thierry Pairault, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste des relations sino-africaines, contacté par France 24. « La Chine veut faire passer le message que les pays occidentaux ont fait des vaccins chers destinés aux pays riches et qu’a contrario, elle participe au bien public mondial », complète Antoine Bondaz.

Préserver une relation bilatérale ancienne et stratégique

Cet intérêt qu’a la Chine pour les pays africains n’est pas nouveau. Il remonte à 1955, lors du premier sommet afro-asiatique de Bandung, qui pose, en pleine Guerre froide, les jalons de la politique chinoise en Afrique. Les liens entre la Chine et l’Afrique se renforcent ensuite dans les années 60, au moment des indépendances africaines et du mouvement des non-alignés. Avec l’arrivée de Deng Xiaoping à la tête de l’État, l’Afrique est ensuite perçue par la Chine comme « un marché et un accès aux indispensables ressources en énergie et en matières premières », écrivaient les journalistes Serge Michel et Michel Beuret dans « La Chinafrique » (Éd. Grasset, 2008).

Un tournant s’est ensuite opéré dans les années 90. « Au moment du massacre de Tiananmen, les pays occidentaux ont fait défaut à la Chine puisqu’ils ont sanctionné la répression », affirme Thierry Pairault. « En quête de soutiens politiques, la Chine s’est donc tournée vers des pays en voie de développement. Elle les a attirés en réactivant un discours tiers-mondiste qui vise à la valoriser aux yeux, entre autres, des pays africains. »

Les échanges commerciaux explosent à partir des années 2000, amenant la Chine à être aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Afrique, riche en ressources naturelles, grand consommateur de produits chinois et où les investissements chinois prolifèrent. En se montrant comme une puissance généreuse à l’égard du continent, Pékin veut donc préserver ces liens économiques asymétriques. « La Chine a besoin politiquement de l’Afrique qui a, de son côté, besoin économiquement de Pékin. Ce soutien économique, l’Afrique le paie en soutien politique », résume Thierry Pairault, qui rappelle que le continent représente « plus d’un quart des voix à l’Assemblée générale de l’ONU ».

Une expression de la « diplomatie sanitaire » de la Chine

Pour accroître son soft power, la Chine s’est lancée, en parallèle, dans une « diplomatie sanitaire », explique Antoine Bondaz. « Elle s’est renforcée considérablement dans les années 2010 avec l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Avec cette crise, la Chine est apparue comme un acteur de premier plan sur le plan sanitaire », précise-t-il. Dans la zone touchée par l’épidémie, le pays a, par exemple, mobilisé ses cadres médicaux militaires ainsi que « 1 200 personnels de santé », peut-on lire dans l’une des notes du chercheur, publiée en mars 2020.

En livrant des vaccins aux pays africains, la Chine s’inscrit dans ce même schéma, tout en cherchant à se présenter comme un géant technologique. « Les entreprises chinoises veulent apparaître comme des alternatives aux Big pharma et récupérer des parts de marché dans le secteur des biotechnologies », précise Antoine Bondaz. D’autant que Pékin « possède des capacités de production considérables ».

Bien qu’affichant des taux d’efficacité moins performants que leurs homologues occidentaux, les deux vaccins chinois homologués par l’OMS (ceux des laboratoires chinois Sinopharm et SinoVac) sont, en outre, plus faciles à conserver et à exporter dans les pays africains, qui restent limités en termes d’infrastructures médicales. Ces vaccins peuvent être stockés au réfrigérateur, contrairement à celui de Pfizer/BioNTech qui doit être congelé.

D’autres vaccins chinois pourraient bientôt arriver sur le marché. L’Institut de produits biologiques de Wuhan, une filiale de Sinopharm, et l’entreprise chinoise CanSino Biologics ont annoncé mercredi avoir déposé une demande d’autorisation pour une utilisation publique de leurs vaccins.

La Chine pourrait aussi franchir une autre étape, en acceptant que ses vaccins soient un jour produits à l’étranger, y compris dans certains pays africains. Le Maroc pourrait être l’un des pionniers : Rabat a débuté des négociations avec Pékin pour pouvoir produire le vaccin de la société Sinopharm et l’exporter vers d’autres pays africains.
france24.com
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