« L’homme qui répare les femmes » interdit en RDC

Accusé de « salir l’image » de l’armée congolaise, le documentaire consacré au docteur congolais et militant des droits de l’Homme, Denis Mukwege, ne sera pas diffusé en RDC. Thierry Michel, co-auteur du film, dénonce une décision « disproportionnée ».

Les Congolais ne verront pas le documentaire consacré à Denis Mukwege (voir encadré ci-dessous), le célèbre gynécologue qui œuvre depuis des années auprès des femmes violées dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Après avoir glané plusieurs prix dans différents festivals internationaux, « L’Homme qui répare les femmes », des journalistes belges Thierry Michel et Colette Braeckman est, depuis le mercredi 2 septembre, interdit de diffusion dans le pays. La cause ? L’image prétendument désastreuse que ces près de deux heures de témoignages renverraient de l’armée congolaise.

Denis Mukwege, gynécologue militant
Surnommé « L’Homme qui réparait les femmes », le docteur Denis Mukwege a créé en 1999 l’hôpital de Panzi, à Bukavu (est de la RDC), pour permettre aux femmes d’accoucher dans des conditions d’hygiène acceptables. À mesure que les régions des Kivu sombraient dans l’horreur de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), l’établissement est vite devenu une clinique du viol.
Le gynécologue a reçu en 2014 le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit remis chaque année par le Parlement européen.

« Il y a une volonté manifeste de nuire, de salir l’image de notre armée et aucun pays au monde ne peut le tolérer. C’est pourquoi nous avons interdit la diffusion de ce film chez nous », a justifié le ministre congolais de la Communication, Lambert Mende, à l’AFP. Les projections prévues à Kinshasa les 8 et 9 septembre, ainsi que celle programmée au Kivu, où a été tourné le reportage, n’auront donc pas lieu.

Une interdiction que l’un des co-auteurs Thierry Michel regrette d’autant plus qu’il ne considère pas avoir tourné un film accusateur. Auteur de nombreux documentaires sur la RDC, dont l’emblématique « Mobutu, roi du Zaïre », le réalisateur belge de 62 ans revient pour France 24 sur cette décision qu’il juge « disproportionnée ».

France 24 : Comment jugez-vous la décision du ministère congolais de la Communication de faire interdire la diffusion de « L’Homme qui réparait les femmes » en RDC ?

Thierry Michel : La réaction de Kinshasa est totalement disproportionnée et révèle un malaise profond des autorités congolaises par rapport à la réalité du pays. À aucun moment dans « L’Homme qui réparait les femmes », l’armée n’est mise en cause. Nous disons simplement que des éléments des FARDC [Forces armées de la RDC] ont commis des violences sexuelles dans l’est du pays. Ce n’est un secret pour personne puisque l’auditorat militaire lui-même a jugé et condamné des militaires violeurs, et pas seulement des soldats mais aussi des officiers supérieurs. Donc quand le ministre Lambert Mende dit que le film est calomnieux, les verdicts rendus par la justice congolaise doivent l’être aussi.

Pensiez-vous le sujet de votre film aussi sensible ?

Non, même si nous avions pris quelques précautions. Nous avons expurgé notre documentaire de tous les noms des violeurs présumés cités par les témoins. Nous l’avons fait pour protéger les victimes de viols et le docteur Denis Mukwege qui les soigne. Mais si nous avons fait œuvre d’autocensure volontaire, c’est aussi pour avoir la certitude qu’ils nous donneraient ainsi l’autorisation de diffuser le film. C’est peut-être journalistiquement discutable mais nous pensions que c’était moins l’enquête que la cause qu’il fallait d’abord défendre. Il faut savoir que les témoignages de femmes consignés dans le film, ce n’est rien par rapport au projet « Mapping » de l’ONU qui, en 2008 et 2009, a fait un travail énorme de recensement des victimes de viols durant les guerres au Congo (1993-2003). Pour tout dire, le rapport des Nations unies est beaucoup plus alarmant que ne l’est le film. Nous aurions pu être plus incisifs mais nous voulions éviter de faire un film polémique. On me reproche souvent cette neutralité, mais je considère que c’est au public de juger. Je ne suis ni juge ni procureur ni avocat, je suis un témoin et je transmets ce témoignage

Qu’est-ce qui, chez le docteur Denis Mukwege, dérange tant les autorités congolaises ?

On lui reproche d’être allé devant les Nations unies pour dénoncer l’impunité dont jouissent les criminels en RDC. En un mot, sa parole gêne. Denis Mukwege a fait l’objet de tentatives d’assassinat, on a tué l’un de ses collaborateurs, il est depuis comme enfermé dans son hôpital sous protection de l’ONU. Quand il en sort, c’est sous escorte des Nations unies.

Je m’inquiète pour le docteur mais aussi pour les victimes qui ont témoigné. À partir du moment où on dit qu’il y a « calomnie » contre l’armée, cela ouvre la voie à de possibles poursuites judiciaires. On pourrait reprocher à leur parole de mettre en cause l’armée alors qu’ils ne font que relater ce qu’ils ont vécu. J’espère que la formulation « calomnie » n’a pas été choisie pour intimider les témoins. Les femmes des villages du fin fond du Kivu ne sont pas protégées. On ne peut pas mettre un militaire de l’ONU derrière chaque femme survivante des massacres ou des viols.

Avez-vous tout de même espoir que le film soit vu en RDC ?

On ne sait jamais. Tout à coup, les autorités peuvent se dire qu’interdire le film va finalement faire plus de bruit que le diffuser. Reste qu’en RDC, il n’y a pas de réseaux de salles. Et les télévisions ne l’auraient pas diffusé. Si bien que le film n’aurait été vu que dans de petits cercles, c’est-à-dire à l’hôpital de Panzi, où travaille le docteur Mukwege, à la Monusco [la Mission de l’ONU en RDC] et dans les ambassades étrangères. Mais cette interdiction n’est pas admissible dans l’idée.

Craignez-vous qu’il soit de plus en plus difficile de travailler en RDC ?

J’ai le sentiment d’avoir toujours bénéficié de la sympathie de la population congolaise. Mais avec les autorités, que ce soit du temps de Mobutu ou aujourd’hui, cela ne s’est vraiment jamais bien passé. Depuis 20 ans que je travaille au Congo, ce genre de choses est récurrent : j’ai été arrêté, incarcéré, accusé d’activités suspectes et d’intelligence avec des puissances étrangères, j’ai été expulsé à plusieurs reprises, mes films ont été interdits, j’ai été en procès. C’est une vieille querelle de famille. On s’aime et on se dispute.

Cela a toujours été difficile pour les journalistes en RDC. Et ça le sera encore plus à l’approche des élections, période durant laquelle les médias étrangers rencontrent davantage des difficultés, subissent des pressions. Étrangement, sur mon dernier film, nous n’avons pas eu de problèmes de tournage. Et pendant six semaines, ma collègue Colette Braeckman avait reçu une autorisation orale renouvelée. Le ministre lui-même le lui avait confirmé. Ce retournement est totalement surprenant.
france24.com

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