Enquêtes et révélations sur les 300 prisonniers politiques de Côte d’Ivoire

Alors que le procès Gbagbo débute à la Cour pénale internationale ce jeudi 28 Janvier 2016, un document parvenu en notre possession, détaille le profil et la situation de détenus politiques, dont 85 ont été graciés par Alassane Ouattara récemment. 

A l’occasion du traditionnel discours à la Nation, le 31 décembre 2015, le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé une grâce présidentielle pour 3 100 prisonniers dans le pays.

« Cette décision permettra à des milliers de détenus de recouvrer immédiatement la liberté et à d’autres de voir leur peine réduite », a-t-il indiqué. S’il s’agit en grande majorité de prisonniers de droit commun, le ministre de la justice de l’époque, Gnénéma Coulibaly – remplacé par Sansan Kambilé après le remaniement du 12 janvier –, a assuré qu’une centaine de détenus politiques pourraient en bénéficier.

Selon un rapport que nos confrères de « Le Monde Afrique » ont pu consulter, ils seraient plus de 300, la plupart n’ayant pas encore fait l’objet de jugement. A la date du 15 janvier, 85 d’entre eux ont été graciés.

Qui sont-ils ?
Ils ont en commun d’être des partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo, déchu en avril 2011 après une longue crise postélectorale et détenu depuis à la Cour pénale internationale (CPI) en attente de son procès qui débute le 28 janvier. Si certains sont d’anciens soutiens (militaires et politiques) du régime, la majorité des détenus est constituée d’anonymes (sans-emploi, ouvriers, planteurs, étudiants, footballeurs, pasteurs…)

La seule femme figurant dans le rapport est Simone Gbagbo. L’épouse de l’ancien chef de l’Etat a été condamnée par la justice ivoirienne en mars 2015 à vingt ans d’emprisonnement, pour « attentat contre l’autorité de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public » lors de la crise post-électorale de 2010-2011 qui avait fait plus de 3 000 morts en quatre mois, selon les Nations unies. L’ex-première dame est détenue à l’Ecole de gendarmerie d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Les anciens ministres Lida Kouassi, Assoa Adou et Hubert Oulaye y sont également mentionnés.

On compte aussi des anciens responsables de l’appareil sécuritaire du pouvoir Gbagbo, à savoir les officiers de gendarmerie Anselme Séka Yapo et Jean-Noël Abéhi. L’ancien commandant de la Garde républicaine, le général Bruno Dogbo Blé et une dizaine de militaires de rang font également partie de cette liste.

Combien sont-ils ?
Si le pouvoir à Abidjan réfute l’appellation de « prisonniers d’opinion » pour qualifier ces derniers, Gnénéma Coulibaly admet toutefois qu’ils sont 234 à être encore détenus.

Le rapport annuel 2014-2015 d’Amnesty International sur la Côte d’Ivoire note que 600 détenus de la crise postélectorale étaient attendus pour être jugés en 2015. Le document très détaillé consulté par Le Monde Afrique, affiche, lui, 311 noms de pro-Gbagbo derrière les barreaux avant la libération des 85 graciés. Par ailleurs, la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire (CNDHCI) confie qu’une liste de plus de 400 prisonniers lui a été présentée, il y a deux ans, par des responsables du Front populaire ivoirien (FPI), l’ ancien parti de Laurent Gbagbo. « Depuis, nous ne nous sommes pas rencontrés pour évoquer le sujet et revoir la liste. Mais nous pensons qu’avec les remises en liberté provisoires ce chiffre devrait avoir baissé », relève l’une de ces sources.

Au regard du document que Le Monde Afrique a consulté, 219 prisonniers sont retenus à la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), la plus grande prison du pays. Les 92 autres, après avoir transité par le grand centre pénitencier abidjanais, ont été transférés soit au camp pénal de Bouaké, soit à Dabou (sud du pays), à Séguéla (nord) ou encore à Dimbokro (centre).

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Quels sont les motifs de leur détention ?
La crise électorale a été générée par le refus de l’ancien président Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara, en décembre 2010. Lors des affrontements entre les deux camps rivaux, une centaine de partisans de Laurent Gbagbo avait été arrêtée. Beaucoup furent libérés, et seuls seize civils liés directement à la crise meurtrière sont encore détenus, selon le rapport.

Quatre sont « portés disparus » depuis cinq ans. Trois autres, mis aux arrêts le 9 juin 2011, sont accusés de l’enlèvement et de l’assassinat, le 4 avril 2011, du Français Yves Lambelin, ancien président du conseil d’administration du géant agro-industriel ivoirien SIFCA. Le chef du commando, un officier de l’armée, a pour sa part été condamné à quinze ans de prison.

On compte aussi des officiers supérieurs ayant refusé de faire allégeance au président Ouattara, et des officiers et subalternes de l’armée, de la gendarmerie et de la police, arrêtés pour violation de consignes. D’autres, comme le général Bruno Dogbo Blé, ainsi que quatre de ses hommes, ont été condamnés pour l’assassinat, le 12 mars 2011, du colonel major à la retraite Adama Dosso.

Par ailleurs, d’autres arrestations, non liées directement à la crise post-électorale, sont venues gonfler le nombre des détenus. Il s’agit notamment des 26 anciens miliciens pro-Gbagbo arrêtés à la frontière libérienne et soupçonnés d’être impliqués dans des attaques contre des positions de l’armée ivoirienne entre le 26 juin 2011 et le 2 juillet 2012. Tous ont été rapatriés du Liberia voisin par la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui avait perdu, au cours d’une de ces attaques, sept de ses casques bleus.

En sus, les attaques du camp militaire d’Akouédo (à l’est d’Abidjan) en novembre 2012 ont conduit à l’arrestation de 17 personnes. Entre janvier 2014 et décembre 2015, 32 autres ont été incarcérées suite aux attaques des positions de l’armée à Grabo (ouest). Les proches d’une majorité de ces détenus dénoncent des arrestations dues à des dénonciations calomnieuses en raison de leur soutien à l’ancien régime. Aucun procès ne s’est encore tenu.

Enfin, 31 manifestants d’une marche interdite de l’opposition ont été placés sous mandat de dépôt pour « troubles à l’ordre public » le 19 septembre 2015. Et 27 personnes sont poursuivies pour des affaires similaires.

Combien ont pu bénéficier d’un procès ?
Selon Gnénéma Coulibaly, l’ex-ministre ivoirien de la justice, ce sont ces personnes arrêtées pour trouble à l’ordre public et pour des attaques contre les forces de l’ordre qui constituent le plus gros du contingent des graciés. Les personnes condamnées aux assises ne sont pas concernées par la décision du chef de l’Etat, a-t-il ajouté.

Depuis la fin de la crise postélectorale, 36 personnes ont été condamnées aux assises. Leurs peines vont de trois à trente-cinq ans de prison ferme. Par ailleurs, 15 autres personnes ont été jugées et condamnées hors assises avec des peines allant de trois mois à vingt ans de prison.

A l’heure actuelle, 19 prisonniers sont en chambre d’accusation et 35 en correctionnelle. Ils attendent toujours la tenue de leur procès. Mais cela devrait prendre du temps, eu égard à la lenteur constatée dans le traitement des dossiers et, surtout, à la lourde charge des différents cabinets. Pour ne citer qu’eux, le 8e et le 10e cabinet doivent traiter respectivement 59 et 62 dossiers de prisonniers.

Quel est leur état de santé ?

Ces trois dernières années, au moins un prisonnier politique est mort à la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). En 2014, Amnesty International rapportait que trois détenus étaient décédés dans des circonstances qui restent floues. Depuis 2011, on compte une dizaine de décès au total.

Selon le document obtenu par Le Monde Afrique, 49 prisonniers politiques souffrent actuellement de maladies diverses et de traumatismes liés à leur longue détention : treize d’entre eux souffrent d’hypertension artérielle et deux de diabète, trois sont atteints de tuberculose. Leurs proches ont toujours plaidé pour une évacuation hors de la MACA.

Que racontent les prisonniers graciés ?

Apollinaire Zadi, commerçant à Grabo, dans l’ouest du pays, témoigne :

« J’ai été arrêté en mars 2014, comme plusieurs autres jeunes, après l’attaque d’un poste militaire à Grabo. Il y avait un vrai cafouillage et les militaires nous ont accusés d’être des complices des agresseurs. Nous avons subi une torture morale et physique avant notre transfert à la MACA. Nous étions en nombre dans les cellules et le quotidien était pénible avec un seul repas par jour. Pendant tout ce temps, nous n’avons jamais rencontré un avocat jusqu’à ce que le régisseur vienne nous informer que nous bénéficions de la grâce présidentielle. »

Avec Le Monde

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