Conflit au Soudan : des enjeux internationaux stratégiques au coeur de la crise

Depuis le déclenchement du conflit au Soudan, les yeux de la communauté internationale sont rivés sur Khartoum.

D’autant que les deux camps rivaux, celui de l’armée officielle commandée par général Abdel Fattah al-Burhan et celui des Forces de soutien rapide menées par le général Hemedti, ont tissé des liens importants avec plusieurs pays étrangers.

Avec ses importantes ressources et son accès à la mer Rouge, le Soudan possède une position stratégique cruciale. Pas étonnant donc que de nombreux acteurs extérieurs s’impliquent dans le pays, sur les plans politique, économique, voire militaire. Or les camps des deux généraux ont établi des relations parfois étroites avec ces puissances étrangères.

L’Égypte reste l’un des acteurs extérieurs les plus influents au Soudan. Les deux pays partagent 1 200 km de frontière, ils partagent également les eaux du Nil. Environ 3 à 6 millions de Soudanais vivraient dans le pays voisin. Une diaspora qui représente un poids économique certain avec notamment l’envoi d’argent à leurs familles au Soudan.

Barrage

Or, le général al-Burhan serait, dit-on, proche du Caire. Le chef de l’armée a notamment été formé à l’académie militaire égyptienne, la même école d’où est sorti le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. L’Égypte a fourni de l’équipement au Soudan, mais le pays avait aussi organisé un dialogue politique soudanais parallèle. Alors que ONU, Union africaine et Occidentaux poussaient pour faire avancer les négociations entre la junte et les civils, Le Caire a reçu des forces soudanaises proches de l’armée, parmi lesquelles des islamistes et des partis proches de l’ancien régime d’Omar el-Béchir. Certains accusent même les Égyptiens d’avoir tenté de faire dérailler la transition vers les civils avec cette initiative.

Selon les observateurs, Le Caire souhaiterait en tout cas un Soudan stable, et compte notamment sur Khartoum pour s’opposer au projet du Grand barrage de la renaissance construit par l’Éthiopie sur le Nil. Une infrastructure à laquelle l’Égypte est hostile, par crainte notamment d’une baisse de ses ressources en eau.

Dans ce contexte, possible que la présence de militaires et d’avions égyptiens sur la base de Meroe, au nord de Khartoum, ait été l’étincelle qui a déclenché le conflit. Samedi, les Forces de soutien rapide ont attaqué le site et enlevé plusieurs soldats égyptiens. Le général Hemedti assure qu’ils sont bien traités.

Mines d’or

Le Soudan subit aussi l’influence des pays du Golfe : Qatar, Émirats arabes unis, Arabie saoudite. En 2015, Omar el-Béchir avait approuvé l’envoi de soldats soudanais afin de combattre au Yémen pour le compte des Saoudiens et d’Abu Dhabi. À la chute de l’ancien dictateur, le général Hemedti avait envoyé ses Forces de soutien rapide se battre au Yémen. Sauf qu’al-Burhan l’a fait aussi. Il fut même un temps à la tête des forces soudanaises au Yémen. Les deux généraux ont donc des liens dans le Golfe.

Par ailleurs, le chef des FSR est très riche. Il exploite de nombreuses mines d’or, le Soudan étant le troisième producteur d’Afrique, ce qui profite aux Émirats arabes unis, premier acheteur d’or soudanais, mais aussi aux Russes. En effet, selon Washington, les mines aideraient à financer les paramilitaires de Wagner. « Aujourd’hui, pas un seul combattant de Wagner n’est au Soudan », a néanmoins affirmé mardi le fondateur du groupe, Evguéni Prigojine, sur Telegram. « Et c’est comme ça depuis deux ans », a ajouté ce proche de Vladimir Poutine.

Or, comme les autres pays, les Russes ont, eux aussi, des liens avec les deux ennemis. Selon l’enquête du groupe Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), Wagner agirait via la société M Invest et sa filiale Meroe Gold, installée au Soudan depuis 2017. Elle travaille avec l’entreprise Aswar, contrôlée par les renseignements militaires soudanais. Le groupe de journalistes a établi la preuve d’un contrat entre Meroe Gold et Aswar. La société russe se voit aussi exemptée en 2018 de la taxe de 30% imposée par la loi soudanaise aux sociétés aurifères.

Base navale

Les Russes ont donc des contacts étroits aussi avec la sphère du général al-Burhan, puisque Moscou lorgne sur la mer rouge et discute avec la junte au pouvoir depuis plusieurs années pour la construction d’une base navale.

Ce projet remonte à 2017. Le président russe Vladimir Poutine et son homologue soudanais Omar el-Béchir avaient alors signé un accord stipulant que Moscou obtiendrait un bail de 25 ans pour construire une infrastructure à Port-Soudan, principal port du pays. Ce site devait permettre d’accueillir 300 hommes et jusqu’à quatre navires de guerre. Mais le projet a été suspendu après la chute de la dictature. Le retour en force des militaires lors du second coup d’État d’octobre 2021 a favorisé un nouveau rapprochement entre Moscou et Khartoum. En juillet 2022, l’installation d’une base militaire au Soudan a été incluse dans la nouvelle doctrine navale russe. Début février, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov avait rencontré al-Burhan et déclaré que le projet était toujours sur les rails. Le diplomate avait déclaré attendre le feu vert du Parlement soudanais pour lancer la construction.

Enfin, plusieurs pays du Golfe – Qatar, Émirats arabes unis, Arabie saoudite – utilisent le Soudan pour assurer leur sécurité alimentaire. Les terres arables se font de plus en plus rares au Proche-Orient, et les monarchies pétrolières investissent depuis quelques années dans la création d’annexes extra-territoriales. Ces pays auraient acheté des centaines de milliers d’hectares au Soudan. Raison de plus pour eux de surveiller de près la situation.

Les puissances étrangères ont pour l’instant choisi une position plutôt équitable, appelant les parties au dialogue. Mais certains craignent que si le conflit dure, ces puissances sortiront de la neutralité. Soudan et Éthiopie ont par exemple un différend frontalier autour du Triangle de Fashaga, dans l’est soudanais. Une zone revendiquée par les deux pays et théâtre d’affrontements réguliers entre l’armée soudanaise et des milices éthiopiennes. Un scénario parmi d’autres serait qu’Addis-Abeba, à cause de sa rivalité avec l’Égypte, pourrait par exemple choisir de s’aligner avec les intérêts du général Hemedti. En tout cas, la fin de la neutralité des puissances impliquées dans le jeu stratégique soudanais marquerait un dangereux tournant dans le conflit.
Sébastien Németh
rfi.fr
ActuPrime – La primeur et la valeur de l’information – Sénégal

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