Présidentielle 2019 : Le combat politique entre le pouvoir et l’opposition décrypté par deux analystes

En perspective de la prochaine présidentielle, le pouvoir et l’opposition semblent s’engager

dans une stratégie de combat politique, à travers une grande offensive de présentation du bilan du chef de l’Etat, en termes de réalisations, et la critique des manquements à la gestion du pouvoir en place au profit de vrais projets politiques en mesure de convaincre les électeurs sénégalais. Interpellés sur ces deux stratégies, Momar Seyni Ndiaye, journaliste formateur et analyste politique et l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dione, docteur en Science politique nous livrent leurs éclairages.

MOMAR SEYNI NDIAYE, JOURNALISTE FORMATEUR ET ANALYSTE POLITIQUE : «C’est le combat crypto-personnel qui semble prévaloir au détriment d’un vrai débat sur les enjeux de l’heure»…»

La succession des rendez-vous électoraux et les séquences de violences politiques, dans un climat social tendu, ces quatre dernières années, font qu’en réalité pouvoir et opposition se sont installés dans une sorte de bras de fer permanent. La virulence verbale des militants libéraux sévèrement réprimée par la police et la justice, la non-réduction du mandat présidentiel, le contentieux sur les contrats de pétrole, la radiation de Sonko, le procès de Karim et maintenant celui de Khalifa Sall, deux potentiels adversaires du Président Macky Sall à la présidentielle de 2019, sur fond d’élections législatives émaillées de dysfonctionnements, tous ces déterminants expliquent la tension politique actuelle. Les dérapages verbaux du ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye et les réactions suscitées dans l’opposition ne feront que l’exacerber.
Dans un tel contexte, on pouvait s’attendre à ce que la confrontation tournât à l’évaluation du bilan de la majorité et l’irruption de projets alternatifs de l’opposition. Au contraire, le PSE est la cible de l’opposition, non pas sur ses enjeux fondamentaux, mais parce qu’il porte la marque du président Macky Sall. On a déjà les prémisses de l’ambiance de la présidentielle qui prendra les allures d’un référendum. Je ne crois que la bataille politique actuelle puisse être analysée comme un affrontement des stratégies ou des programmes, car l’opposition n’a pas encore dévoilé ses propositions de projet de société. Pour l’heure, c’est le combat crypto-personnel, subjectiviste et un peu nihiliste qui semble prévaloir au détriment d’un vrai débat sur les enjeux de l’heure.

Cependant, les électeurs auraient en tout cas tout à gagner dans une vraie confrontation d’idées. Depuis 2014, le PSE a posé les jalons de transformations structurelles. C’est du moins la promesse de vente, (que vous appelez rêve politique) que propose la majorité. C’est à l’opposition de prouver qu’au-delà des critiques et des remises en causes systématiques, elle peut présenter de sérieuses alternatives, et permettre ainsi aux électeurs de faire un choix conséquent. Cependant, il ne faut pas que le pouvoir pense que le PSE est une panacée infaillible. Une analyse et une relecture en profondeur du PSE sont indispensables, pour prendre la mesure des espoirs et attentes des populations, en termes d’opportunités socioéconomiques et aussi de bonne gouvernance. Et il serait erroné de la part de l’opposition d’espérer qu’elle pourrait seulement avec la critique rallier majoritairement les suffrages des électeurs. La critique est facile, mais l’art est difficile.

MAURICE SOUDIECK DIONE, DR EN SCIENCE POLITIQUE ET ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’UGB DE SAINT-LOUIS : «Ces deux stratégies présentent des insuffisances»

Le bilan mis en avant par les tenants du pouvoir est essentiellement d’ordre matériel et économique. Or, la croissance tant chantée urbi et orbi n’est pas concrètement ressentie par les populations en termes d’amélioration de leurs conditions de vie. De plus, elle est extravertie parce que tirée par des unités de production étrangères d’une part, et d’autre part, elle est essentiellement tirée par le secteur tertiaire, les services, alors que la majorité de la population est plus concernée par le secteur primaire, l’agriculture notamment, et donc ne perçoit pas les retombées de la croissance. À cela, il faut ajouter la pauvreté qui se développe et l’effondrement des services publics, notamment ceux de la santé et de l’éducation. Dans ces conditions, l’opposition a tendance naturellement à privilégier le discours facile du dénigrement, car la critique est aisée mais l’art difficile, selon l’heureuse formulation de Nicolas Boileau.

Politiquement, c’est aussi une stratégie pragmatique de nature à mettre le régime en difficulté, mais avec cet inconvénient de rechercher le pouvoir sans se préparer véritablement à l’exercer. Car la plupart du temps, en général, ce que l’on appelle programme politique, c’est souvent beaucoup de promesses et de vœux, mais qui ne sont pas testés et éprouvés par des critiques pertinentes. Quand un candidat promet par exemple de régler le problème du chômage des jeunes, il devrait être en mesure de décliner avec des données chiffrées, quels leviers il actionnerait pour y arriver. S’il promet des baisses d’impôt, autre exemple, il devrait expliquer comment procéder pour compenser les pertes de recettes, et plus généralement comment financer son projet. Mais, ce travail n’est pas fait. En plus de cela, la nature présidentialiste du système politique sénégalais qui fait que le chef de l’État concentre par devers lui l’essentiel des pouvoirs, favorise les pratiques autoritaires et clientélistes pour entretenir le fonctionnement du système, ce qui fragilise naturellement les régimes en place.
Car le bilan porte aussi sur la préservation et la consolidation des acquis démocratiques, en termes de respect des droits et libertés des citoyens et particulièrement de l’opposition, et de préservation des garanties juridiques et institutionnelles d’une compétition électorale loyale. Dès lors, quand un pouvoir quel qu’il soit s’écarte de ces impératifs, il tend à créer les conditions de sa propre précarité, tout comme l’opposition tend également à verser essentiellement dans la critique, en omettant le fait qu’elle doit s’investir à produire une alternative programmatique se voulant crédible et efficace. Ce qui fait qu’en définitive, les Sénégalais ont plus tendance à sanctionner les régimes en place, lorsqu’ils estiment qu’ils n’ont pas suffisamment répondu à leurs attentes, plutôt qu’à adhérer à un vrai projet politique qui, de toute manière, fait souvent défaut dans la plupart des cas. Donc, ces deux stratégies présentent des insuffisances.

Car, il est fondamental d’avoir un projet politique. Mais, on se rend compte que ce n’est pas cette logique qui prime. Elle est foncièrement remise en cause d’une part par les pratiques clientélistes auxquelles les acteurs politiques restent encore attachés, même si ces dernières présentent des limites quant à prospérer dans le temps, en raison d’une certaine maturation citoyenne, et d’autre part du fait de la tension persistante entretenue autour des règles du jeu politique qui constituent un enjeu de conquête et de conservation du pouvoir. Précisément, la cristallisation sur la problématique relative à la transparence et à la fiabilité de la compétition au pouvoir semble reléguer au second plan le plus important, c’est-à-dire les projets politiques…Pour que l’on puisse véritablement mettre en avant la concurrence des projets et programmes politiques, il faut donc régler définitivement les querelles relatives à la transparence des élections et à l’exercice des libertés démocratiques. Mais également réformer les partis politiques en les connectant davantage aux problèmes réels du pays, pris en charge par une réflexion sérieuse et profonde adossée à une connaissance claire et nette du pays. Pour cela, il faut aussi d’autres préalables : une certaine prospérité économique dont les fruits sont partagés pour faire reculer le clientélisme et les liens politiques de dépendance interpersonnelle».
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