L’Etat absent du centre du Mali livré à la violence meurtrière des milices armées

Dans le centre du Mali, le massacre de 160 villageois peuls le 23 mars met en exergue les difficultés

dans le domaine sécuritaire de l’État malien, qui a laissé prospérer milices et groupes jihadistes.

Au centre du Mali, le chaos règne. Samedi 23 mars à l’aube, Ogossagou, un village peul dans la région de Mopti, proche de la frontière avec le Burkina-Faso, a été le théâtre d’un carnage. Au moins 160 villageois peuls ont été tués par des chasseurs présumés dogons. C’est la tuerie la plus sanglante dans le pays depuis la fin des principaux combats de l’opération Serval lancée en 2013, à l’initiative de la France, pour chasser les groupes jihadistes qui avaient pris le contrôle du nord du Mali.

Pour André Bourgeot, chercheur émérite au CNRS et spécialiste du Sahel reçu sur le plateau de France 24, « cette violence s’inscrit dans la continuité d’une absence de sécurité sur le territoire malien. L’État est complètement absent de certains territoires du Mali central depuis un ou deux ans, ce qui laisse la porte ouverte à tous les abus et les amalgames. »

Le Mali paie surtout au prix fort l’abandon de sa mission régalienne de sécurité publique à des milices locales. « L’État a laissé ces groupes locaux de sécurité prendre plus d’importance. Il s’est même parfois appuyé sur eux pour défendre ses intérêts. Mais ces milices ne sont pas entièrement sous le contrôle de l’État : du fait de leurs origines, elles répondent également à des intérêts communautaires », explique à l’AFP Aurélien Tobie, chercheur principal sur le Sahel à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).

Des accusations que le gouvernement malien a toujours réfutées. Mais « on sait, par exemple, que les leaders de Dan nan Ambassagou [une milice de chasseurs dogons, NDLR] étaient officiellement reçus par des membres du gouvernement, et que leur action n’était pas publiquement condamnée. Cela envoie des signaux quant à l’impunité dont pourraient bénéficier les membres de ces groupes », ajoute le chercheur.

« Erreur politique et militaire »

Pour André Bourgeot, c’est « une erreur politique et militaire gigantesque » d’avoir laissé proliférer les groupes d’autodéfense. « Parce qu’à un moment donné ces milices sont dans une situation d’autonomie. Et cette autonomie peut se manifester par des exactions. »

« Le maillage sécuritaire du Mali est très compliqué, note Aurélien Tobie. Le territoire est vaste et les populations sont très diverses. » Des milices ont toujours existé « pour fournir un semblant de sécurité quotidienne et pour assurer le calme dans les villages, voire certains quartiers des grandes villes », assure le chercheur.

Mais progressivement, les autorités centrales ont laissé ces groupes gagner en importance. Un virage est pris à partir de 2006. Conscient des difficultés de son armée à maintenir l’intégrité territoriale et surtout pressé par la montée en puissance de la rébellion touareg, l’État malien, sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, favorise la création de deux milices dans le Nord, l’une arabe, l’autre touareg, comme l’explique un rapport de l’International Crisis Group.

En 2012, toujours dans le Nord, au plus fort des combats contre le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) mais aussi contre le groupe jihadiste Ansar Dine, le gouvernement appuie le groupe d’autodéfense songhaï Ganda Izo pour affaiblir la rébellion touareg. « Quand les militaires maliens ont commencé à faire un repli tactique, ils ont abandonné certaines localités du Nord, mais nous, nous étions positionnés, confiait en juillet 2018 au Monde Abdourahmane Diallo, secrétaire général de Ganda Izo. Il y a eu une entente entre l’armée malienne et nous, dans la zone d’Ansongo, afin d’empêcher l’avancée du Mouvement national de libération de l’Azawad. On patrouillait ensemble. »

En 2013, l’armée française avec l’opération Serval réussit à reprendre Gao, Kidal et Tombouctou. Les groupes jihadistes se replient dans le centre du pays, déjà enclin à des tensions interethniques entre les éleveurs peuls et les cultivateurs ou chasseurs traditionnels à dominante dogon, qui se disputent les ressources naturelles.

À partir de 2015, le prédicateur salafiste Amadou Koufa, chef peul du Front de libération de la Macina (FLM), intensifie ses activités dans le centre du Mali. Il veut instaurer une république islamique et recrute prioritairement parmi les Peuls. Les tensions entre communautés s’exacerbent, les affrontements se multiplient entre les Peuls et les ethnies bambara et dogon. « Il y a eu des amalgames systématiques entretenus par une partie de la population et les soldats maliens selon lesquels les Peuls sont de facto des jihadistes à cause de l’appartenance d’Amadou Koufa à cette ethnie. Mais ce n’est pas vrai », dénonce André Bourgeot.

Les groupes d’autodéfense se développent. Parmi eux, Dan nan Ambassagou, dissoute par les autorités au lendemain de la tuerie d’Ogossagou, et qui nie toute responsabilité. En 2018, les violences dans le centre du Mali coûtent la vie à plus de 500 civils selon l’ONU. L’année 2019 débute dans le sang avec la mort, le 1er janvier, de 37 Peuls dans l’attaque du village de Koulogon.

Désarmer sans délai les milices

Dans un communiqué publié le 26 mars, la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH) et l’Association marocaine des droits humains (AMDH) ont appelé l’État malien à « désarmer et démanteler sans délai tous les groupes armés et milices qui sévissent illégalement tant au centre qu’au nord du Mali. » Pour les deux organisations, « ce démantèlement implique notamment un retour effectif de l’État malien et de ses troupes pour protéger et assurer l’ordre dans ces zones meurtries par les attaques des groupes jihadistes et les violences communautaires. »
france24.com
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