Casamance : L’Etat accentue la lutte contre les trafiquants de bois

La Casamance naturelle, un des derniers poumons verts du pays, fait face à un trafic intense, illicite et inédit de bois de venn (bois rose) animé par des Chinois, des Gambiens et des Sénégalais indélicats qui pillent les belles forêts du sud. L’Etat apporte, depuis quelques temps, une riposte énergique à ce trafic avec le recrutement de 400 nouveaux éléments des Eaux et Forêts dont la moitié est déployée dans les zones impactées par le trafic. Reportage au cœur du Fouladou et en Basse-Casamance.

Une randonnée dans les belles forêts de la Casamance naturelle permet de constater de visu l’ampleur des dégâts causés par les coupeurs de bois de venn (bois rose) qui opèrent dans les localités frontalières avec la Gambie voisine. A partir de Kolda, une route latéritique, en très mauvais état, mène vers les localités de Médina Yoro Foula, Fafacourou, Kandétor, Niaming, Biniarébé et Mballocounda. « C’est indéniable, ici, la forêt recule, mais dans quelle proportion ? On ne sait pas encore », analyse froidement l’inspecteur régional des Eaux et Forêts de Ziguinchor, le commandant Djimanga Diédhiou. Il s’exprimait lors de la caravane de presse organisée par le ministère de l’Environnement et du Développement durable (26-30 juin 2016) dans les régions de Kolda et Ziguinchor. Cette mission, conduite par Abdoulaye Bibi Baldé, ministre de l’Environnement et du Développement durable, vient après celle qu’il a effectuée avec les ministres de l’Intérieur et des Forces armées.

Mais c’est la région de Kolda qui paie le plus lourd tribut à ce trafic illicite. Elle représente le centre d’intérêt des coupeurs venus de la Gambie, mais aussi du centre (Saloum) et des autres zones géographiques du Sénégal. C’est dire que contrairement à une idée répandue faisant exclusivement des Gambiens les auteurs de ce trafic, des populations sénégalaises s’adonnent aussi à ce juteux commerce. Oui, ce commerce est extrêmement lucratif, confirme le maire de Fafacourou, Amadou Souaré. L’élu local affirme que le tronc d’arbre coupé est souvent cédé à 150.000 FCfa. Venus de partout, les coupeurs de bois affrètent des charrettes pour transporter la marchandise. D’après plusieurs témoignages concordants, ce sont des Chinois basés à Banjul qui passent les commandes ; les coupeurs s’exécutent en venant chercher le produit dans les localités frontalières, puis retournent en Gambie pour vendre le bois. A charge pour le Chinois de transporter les troncs vers l’Asie en embarquant au port de la capitale gambienne. « Aujourd’hui, ils sont nombreux les contrevenants qui se sont passés le mot pour dire qu’ici c’est même mieux que l’Espagne », ironise l’édile de Fafacourou.

Même les arbres des cimetières ne sont pas épargnés. A Dinguiraye, non loin de Médina Yoro Foula, localité située à 87 km de Kolda, le cimetière du coin, jadis cadre privilégié de conservation de la biodiversité, a subi les assauts des hors la loi.

Le venn, le dimb et le caïlcédrat, cibles des coupeurs
Sur place, on constate le massacre honteux d’arbres gisant à côté des sépultures. Pis, les espèces coupées ne sont pas remplacées. « En vérité, souligne le colonel Aly Seck, inspecteur régional des Eaux et Forêts de Kolda, ce sont les variétés de bois comme le venn et le dimb qui sont les plus prisées dans le Fouladou ». Du bois très apprécié en menuiserie, selon les spécialistes. En revanche, les kapokiers sont épargnés. Par contre, en Basse-Casamance (Ziguinchor et Bignona), c’est le caïlcédrat qui est la cible des coupeurs lourdement armés. « Les assaillants coupent même les racines des arbres ; ce qui fait que, dans plusieurs localités, on est passé d’une situation de forêts touffues à celle de forêts clairsemées », se désole l’officier des Eaux et Forêts. Ce, même si les observateurs font remarquer que le phénomène de coupe abusive est moins prégnant en Basse-Casamance, grâce à l’existence de la forêt aménagée des Kalounayes dotée d’une superficie de 1.510 ha. Résultat, il y a moins de feux de brousse et un meilleur encadrement des populations. Cependant, la crise casamançaise a exacerbé le trafic en ayant raison de la vigilance de certaines populations. Mais ce trafic illicite ne se pratique pas sans danger, car les agents des Eaux et Forêts ratissent les zones affectées. Pour l’année en cours, il y a eu déjà 175 arrestations, dont 60 % des délinquants sont actuellement en prison, d’après le colonel Seck.

A Médina Yoro Foula, une localité très affectée par le trafic, le bilan fait état de 338 charrettes arrêtées et visibles dans la vaste cour du service local des Eaux et Forêts. Même cas de figure en Basse-Casamance où le bilan actuel affiche un nombre de 112 personnes interpellées, dont 12 en prison. Parmi eux figurent trois Gambiens, 4 Guinéens et 5 Sénégalais. De plus, 122 charrettes ont été arrêtées en sus de 10 camions Gambiens, dont 4 équipés de grues. On comprend mieux pourquoi la plupart des coupeurs professionnels opèrent la nuit tombée. Pour faire face à ce trafic qui affecte les forêts casamançaises, l’un des derniers poumons verts du Sénégal, l’Etat a recruté 400 nouveaux éléments des Eaux et Forêts. La moitié de ces agents est déployée dans les zones impactées par le trafic du bois. Aussi le Sénégal a-t-il décidé de saisir la Convention internationale sur le commerce illicite des espèces de faune et de flore (Cites) pour aboutir à une interdiction formelle du commerce international du bois, notamment le venn.

Par Mamadou Lamine DIATTA

L’aménagement des forêts, une solution à moyen terme
Pour l’heure, on décompte 290.000 ha de forêts classées pour 176.000 ha de forêts aménagées, selon le service régional des Eaux et Forêts. De Kolda, l’aménagement des forêts est reconnu comme une solution alternative qui permet d’assurer la durabilité des massifs. Dans les forêts aménagées, la gestion est assurée par les Gie de la contrée ; c’est dire que les services de l’Etat travaillent en étroite collaboration avec les populations environnantes. Ici, on détermine les espèces de bois à couper et celles qu’il faut préserver.
Les populations, formées en techniques de coupe et de carbonisation, tirent beaucoup de produits de subsistance dans ces espaces de vie. Dans le massif aménagé de Kandetor, 30 emplois verts ont été créés, annonce le service des Eaux et Forêts. La régénération des espèces coupées par les populations encadrées est de mise. Des activités comme l’apiculture, l’élevage, la teinture ou l’embouche du bétail y sont menées. Ici, on ne coupe pas un arbre de moins de 20 cm et c’est surtout le bois d’énergie qui est coupé. Malgré toutes ces mesures, certaines forêts aménagées sont assaillies par les coupeurs de bois.

Mamadou Lamine DIATTA

Mballocounda donne l’exemple et sème la peur dans le camp des coupeurs de bois
Situé non loin de Médina Yoro Foula et niché au cœur du Fouladou, le village de Mballocounda est décrit par les services de l’Etat comme un exemple en termes de collaboration des populations pour contrecarrer la coupe abusive du bois.
Sur les lieux, on constate beaucoup de saisies de vieux arbres coupés par les délinquants à l’aide de tronçonneuses. C’est Foula Mballo, fils du chef de village, qui est à la tête des militants de l’environnement. Ils parviennent tant bien que mal à lutter contre ce trafic. « Nous surveillons, avec beaucoup de vigilance, la forêt et nous encadrons les jeunes de la contrée. Mais nous sommes au regret d’annoncer que le phénomène est exacerbé par la corruption dont font preuve plusieurs chefs de village ».

Mamadou Lamine DIATTA

Le trafic de bois : un phénomène sous-régional
Animé de main de maître par des opérateurs chinois qui tirent ainsi les ficelles, le trafic illicite de bois a un impact négatif sur une bonne partie de la Casamance naturelle.

A en croire le colonel Aly Seck, les échanges d’informations ont permis de connaître que des pays comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou le Ghana sont aussi pillés par les coupeurs. Là-bas, c’est le Togo qui joue le rôle de pays-pivot à l’image de ce que représente la Gambie dans ce trafic mené dans notre pays.
De Lomé, les donneurs d’ordre chinois récupèrent la marchandise pour l’expédier en Asie.

Mamadou Lamine DIATTA
lesoleil.sn

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