Bola Tinubu : le « faiseur de roi » est devenu président du Nigeria

Dans l’ombre, il avait aidé plusieurs politiques, dont le président sortant, à accéder aux fonctions

qu’ils convoitaient. Désormais, l’ancien gouverneur de Lagos, Bola Tinubu le « faiseur de roi » présidera à la destinée du Nigeria après avoir été élu ce 28 février.

A Lagos, c’est une population partagée entre déni et scènes de liesse qui a accueilli les résultats des élections. Bola Ahmed Tinubu, le candidat du parti au pouvoir a remporté les élections présidentielles avec 36% des suffrages. Selon les résultats publiés, il a cumulé 8,8 millions de voix devant Atiku Abubakar (6,9 millions de voix) et Peter Obi (6,1 millions de voix), au terme d’un scrutin contesté par l’opposition.

Pour le nouveau résident du palais présidentiel d’Abuja, ces contestations sont sans doute les obstacles les moins importants qu’il a dû affronter pour parvenir au pouvoir. En effet, l’histoire de Bola Tinubu est celle de l’ascension d’un Nigérian aux origines mystérieuses, devenu pour beaucoup « le parrain de Lagos », un acolyte bienveillant ou un adversaire féroce. Quoi qu’il en soit, pour tous les Nigérians, il est désormais le président.

Des origines mystérieuses

Comme lors de toutes les élections, plusieurs médias n’ont pas tardé à tracer le parcours de celui qui présidera à la destinée du Nigeria pour les 4 prochaines années. Un fait frappe pourtant très vite en lisant la plupart des articles de presse sur Bola Tinubu. Aucun média n’arrive à donner avec précision de détails consistants sur son enfance. Tous s’accordent pour dire qu’il est né le 29 mars 1952. Très peu arrivent, alors que la majorité le dit originaire de Lagos, à relier ses premières années à l’Etat d’Osun. Aucune biographie n’arrive à donner avec précision l’identité de son père et cela lui vaudra de nombreuses attaques pendant la campagne. La seule constante lorsque l’enfance de Bola Tinubu est évoquée est celle qui est présentée comme sa mère : Abibatu Mogaji. « Iyal’oja » (mère des marchés en yoruba) de Lagos, elle a dirigé jusqu’à sa mort en 2013 l’association des femmes des marchés. Rien ne prouve le lien de filiation entre Bola Tinubu et elle, mais il la présente comme sa mère et bien plus.

Rien ne prouve le lien de filiation entre Bola Tinubu et elle, mais il la présente comme sa mère et bien plus.

« Ma mère, Alhaja Abibatu Mogaji, était plus qu’une mère pour moi. Elle était aussi une enseignante, une sage conseillère et une amie chère. Ses nombreux accomplissements dans la vie continuent d’être une source de fierté et d’inspiration pour moi et pour une multitude d’habitants de Lagos », confie Bola Tinubu. Grâce à elle, il commence ses études à l’école primaire St Paul et les poursuit jusqu’à l’Université publique d’Ibadan. A 23 ans, il décide de quitter le Nigeria après avoir échappé de peu à la mort dans une fusillade. « Je suis allé à Ikenne, avec ma défunte sœur, pour une cérémonie. Nous étions allés chercher des bouteilles de Coca-Cola et retournions à l’église quand il y a eu une pluie soudaine de balles. Si nous ne nous étions pas précipités vers l’église pour ne pas manquer ce qui s’y passait, je serais mort. Ma famille m’a dit :  » Tu as toujours voulu quitter le pays, il est temps de le faire ». Alors, ma mère a rassemblé un peu d’argent, a vendu ses bijoux et a ajouté ce qu’elle a reçu à une somme que j’avais obtenue en vendant une voiture offerte par mon oncle », raconte Bola Tinubu. Il part pour les Etats-Unis en 1975 et rejoint le Richard Daley College à Chicago.

La parenthèse dorée américaine

Aux Etats-Unis, pour arrondir ses fins de mois, il enchaîne les petits boulots, notamment de vigile et de chauffeur de taxi. Il entre ensuite à l’Université de Chicago où il obtient une licence en comptabilité. A partir de là, selon ses propos, sa vie change sur le plan financier.

Après avoir obtenu son diplôme, Bola Tinubu raconte avoir débuté sa vie professionnelle aux cabinets Arthur Andersen et Deloitte. « Chez Deloitte, j’ai choisi de voyager pendant plus de 80 % de mes années de travail parce que si un employé choisit de voyager, il gagne plus d’argent car il reçoit des indemnités de déplacement. Cela m’a amené à National Oil, qui est devenu le partenaire de coentreprise d’Aramco Oil en Arabie Saoudite. Nous étions allés là-bas pour mettre en place leur système de comptabilité et d’audit. C’est au cours de ce service que j’ai eu ma chance sur le plan financier. À mon retour aux États-Unis, mes employeurs m’ont accordé une énorme prime, qui m’a transformé instantanément en millionnaire », confie Bola Tinubu dans une interview à Prime News Nigeria.

« C’est au cours de ce service que j’ai eu ma chance sur le plan financier. À mon retour aux États-Unis, mes employeurs m’ont accordé une énorme prime, qui m’a transformé instantanément en millionnaire »

Il révèle également que sa fortune de l’époque s’élevait à « 1,8 million ». « General Telephone and Electronics, GTE, m’a offert un salaire supérieur de 32 % à celui que je gagnais chez Deloitte. J’ai accepté mais un jour, ils ont promu quelqu’un que j’avais formé au poste de manager. J’ai démissionné le jour même. C’est alors que j’ai décidé qu’un jour, je retournerais dans mon pays », raconte Bola Tinubu.

Le parrain de Lagos

Bola Tinubu reviendra au Nigeria en 1985. Il trouve un emploi chez Mobil Oil Nigeria, actuellement 11PLC, qui commercialise des produits pétroliers. Le Nigérian grimpe les échelons de la compagnie jusqu’à être nommé auditeur général. Dans le cadre de son travail, il se met à côtoyer des proches du président de la république Ibrahim Babangida. Ces derniers lui annoncent vouloir se lancer en politique et visent notamment le gouvernorat de l’État de Lagos. « Je voyais ce gouvernorat comme un département qui avait besoin d’un bon gestionnaire. Nous nous intéressions à l’urbanisation, au contrôle de la qualité. Nous avons décidé de soutenir la candidature de Dapo Sarumi et j’étais chargé de trouver des fonds pour sa campagne », confie Bola Tinubu. Finalement, en s’impliquant, Bola Tinubu finit par se prendre au jeu. « Lorsque Dapo Sarumi a été écarté de la course, je me suis rangé derrière Yomi Edu. Il a perdu les élections et notre groupe était dévasté ».

En 1992, il se présente à l’élection du district sénatorial de Lagos Ouest. Il est élu avant que le coup d’Etat de Sani Abacha en 1993 ne rebatte toutes les cartes de la politique locale. Bola Tinubu participe alors à la fondation de la National Democratic Coalition (NADECO) et réclame le départ du gouvernement militaire. Finalement, il va devoir partir en exil.

Il revient au Nigeria en 1998 après le décès de Sani Abacha. La démocratie est restaurée et son combat contre la junte n’est pas oublié par la population de Lagos. En 1999, Bola Tinubu se présente au poste de gouverneur de l’État de Lagos et est élu sous la bannière de l’Alliance pour la démocratie. Il sera réélu en 2003. Il a été le seul des six gouverneurs de son parti à conserver son poste en 2003 après que Olusegun Obasanjo ait pris le contrôle de la région lors des présidentielles de cette année. C’est durant ces deux mandats qu’il gagne la réputation de « parrain de Lagos ». Il est désigné « Asiwaju » (celui qui dirige), par le chef traditionnel de Lagos et « Jagaban » (le chef des guerriers), par le royaume du Borgu. En plus de la solide réputation de sa mère, son combat pour la démocratie, ses investissements dans l’éducation et la construction de routes lui valent une grande reconnaissance de la part de la population. Bola Tinuu est toutefois à l’origine d’une réorganisation controversée du système de collecte des impôts dans la région de Lagos. Le natif de Osun avait des intérêts dans la compagnie privée chargée de percevoir ces taxes et est accusé d’avoir prélevé des commissions. Avec la prétendue saisie de propriétés publiques, ce sont seulement quelques-unes des accusations lancées à son encontre. Selon plusieurs médias, ceux qui contestaient son autorité finissaient par le payer. C’est le cas d’Akinwunmi Ambode qui, après avoir perdu le siège de gouverneur de Lagos en 2019, s’est retrouvé moins de six mois plus tard au cœur d’une enquête conduite par la Commission nigériane contre les délits économiques et financiers (EFCC).

Eminence grise d’un autre temps

Bien après la fin de son deuxième mandat, Bola Tinubu est resté très influent à Lagos. Plusieurs médias assurent qu’il a choisi son successeur et fait nommer de nombreuses personnalités à des postes importants. Membre fondateur de l’All Progressives Congress (APC), il est décrit comme celui ayant favorisé l’élection de Muhammadu Buhari. Assumant ce statut d’éminence grise, il avait même déclaré devant les journalistes en janvier 2022 : « Je n’ai vu écrit nulle part qu’un faiseur de rois ne peut pas être roi ». Grand favori pour les élections de 2023 pour lesquelles il remporte les primaires de l’APC, il verra pourtant les choses se compliquer, lorsque ses origines, ses diplômes et même son parcours être remis en cause.

Une communication officielle de Deloitte viendra remettre en cause le fait que Bola Tinubu a travaillé pour le cabinet. Plusieurs scandales, notamment liés à la somme de 1,8 millions $ prétendument gagnés durant son temps à Deloitte perturbent sa campagne. En plus, dans un pays où 60% de la population a moins de 25 ans, Bola Tinubu représente une vieille garde et un système que la jeunesse juge caduque. Pourtant, au terme du scrutin, Bola Tinubu devient président à 70 ans.

Pendant un meeting, il avait prévenu la jeunesse nigériane : « Vous aussi vous vieillirez, vous deviendrez président, mais je serai président d’abord ».

Pendant un meeting, il avait prévenu la jeunesse nigériane : « Vous aussi vous vieillirez, vous deviendrez président, mais je serai président d’abord ».

Seulement, la toute-puissance du parrain de Lagos a été affectée pendant le scrutin. Comme un symbole, le parrain Tinubu a été battu dans la capitale Lagos par Peter Obi. Un succès d’estime pour un politique de 61 ans trop juste et peut-être trop « jeune » pour combattre un système plus vieux que lui ; mais peut-être les prémices d’un changement annoncé. Quoi qu’il en soit, pour le moment, Bola Tinubu est président et l’APC reste au pouvoir.

Servan Ahougnon
agenceecofin.com
ActuPrime – La primeur et la valeur de l’information – Sénégal

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