L’accueil mystérieux de « Félicité » d’Alain Gomis au Fespaco

Chaque festival possède ses mystères. Comment expliquer la réaction très timide du public au Fespaco, mercredi soir 1er mars 2017, après la projection du film du réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis ? Auréolé par les critiques du cinéma, couronné du Grand prix du jury à la Berlinale, le film Félicité est entré mercredi soir en lice pour l’Étalon d’or de Yennenga comme le grand favori. Mais, la séance terminée, le public s’est contenté d’un bref et hésitant applaudissement digne d’un enterrement.

« J’étais un peu fatiguée, donc le film a été un peu long », « le flouté m’a un peu perdue », avouent deux spectatrices visiblement à bout de souffle après deux heures d’une histoire aussi intense qu’exigeante. Pourtant, tout avait très bien commencé. Les spectateurs sont venus en force dans la chaleur nocturne de Ouagadougou et il n’y avait pas de place pour tout le monde. Pour tenter sa chance, il fallait, en plus, faire une interminable queue et se prêter aux fouilles minutieuses des poches et des sacs, exigées par la sécurité.

Au Fespaco, tout le monde voulait voir Félicité qui a tant fait parler de lui. Après une séance de presse matinale remplie au cinéma Neerwaya – une rareté -, la séance du soir a fait craquer le cinéma Burkina. Alain Gomis, lauréat de l’Étalon d’or en 2013 pour Tey, a dû se frayer son chemin vers le podium au milieu des spectateurs assis dans les couloirs pour se présenter avant le début de la projection tant attendue.

Félicité, «belle comme les feuilles des ronces»

La première séquence nous entraîne dans le tourbillon d’images toujours imprévisibles qui va suivre : un plan serré sur le visage d’une femme nous accueille, et quelle femme ! « Belle comme les feuilles des ronces », Félicité est la reine dans ce bar rempli d’hommes bourrés, de dragueurs et de paumés. La caméra d’Alain Gomis nous plonge magistralement dans la nuit de Kinshasa, cette ville de folies et de forces incroyables. On se retrouve en immersion dans cet univers où Félicité lutte pour sa survie. D’ailleurs, c’est ce qu’elle a toujours fait. Déclarée morte à l’âge de deux ans, elle s’est réveillée dans le cercueil. Depuis, elle porte le prénom Félicité, « notre joie ».

Aujourd’hui, pour assurer sa survie, Félicité chante dans ce bar et reçoit en retour des billets collés sur son front par les clients. Un jour, même ces certitudes fragiles s’écroulent quand son fils est blessé gravement dans un accident de moto. Pour sauver son enfant, Félicité est prête à tout et saura sur qui compter. Elle, qui se prenait toujours pour une femme forte en droit de donner des leçons à tout le monde, apprend à mettre sa fierté de côté, à demander de l’aide et à accepter de l’amour : né alors une mère courage africaine des temps modernes.

Un film saturé et merveilleux

Bien dopé par les musiques et les mouvements, le récit trouve son rythme. Tout semble saturé : l’agitation des gens, les couleurs à l’écran, les bruits dans nos oreilles, les superpositions d’images, les scènes féériques et les silhouettes nocturnes, les contre-jours. Tout, ensemble, compose une symphonie urbaine et humaine merveilleuse où se croisent le meilleur et le pire : miracle !

Le film a tenu toutes ses promesses, mais il n’y avait rien à faire. Mercredi soir 1er mars, au cinéma Burkina, le public a une seule fois vivement réagi : quand l’amoureux lourdaud-poétique de Félicité réussit enfin à réparer le frigo maudit. Bien sûr, le bonheur reste de courte durée. La prochaine pièce détachée tombe en panne et la vie imprévisible de Kinshasa reprend ses droits.

Un rendez-vous raté avec le public ?

Pourquoi ce film doté de pleines qualités a-t-il raté son rendez-vous avec une grande partie du public ? Mystère. « J’ai vu des choses qui m’ont beaucoup plus marqué pendant le Fespaco », remarque une spectatrice pourtant bienveillante à l’égard du réalisateur franco-sénégalais. Peut-être une allusion au film projeté avant, L’Orage africain – un continent sous influence. Dans la même salle, ce film anticolonial, à la fois dramatique et satirique, du Béninois Sylvestre Amoussou avait suscité un enthousiasme indescriptible et fait danser et chanter les festivaliers.

En plus, de nombreux spectateurs avaient enchaîné deux ou trois séances, en restant dans la salle, pour être sûr d’avoir une place pour le film d’Alain Gomis. Résultat : beaucoup étaient visiblement aussi fatigués que la climatisation qui ne laissait pas beaucoup d’air pour respirer. Et puis, il y avait ceux peut-être trop touchés par les émotions à l’écran pour applaudir : « Je ne m’attendais pas à autant d’émotions », résume un monsieur sorti visiblement ému de la salle. « C’est rare que les émotions soient aussi bien exprimées dans le cinéma africain. »
rfi.fr

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